mercredi 25 septembre 2013

La biologisation du politique

La biologisation du politique : perspectives historiques


Guillaume Lachenal, Olivier Doron & Jean Paul Lallemand


UE M2 Lophiss-SC2 « Sciences de la vie et société- 18e-20e siècles »
http://hps.master.univ-paris-diderot.fr/UE/ue4-s3-histSDVS
Le jeudi matin de 9h à 12h


Le cours s’intéresse au rapport entre biologie et politique depuis le 18e siècle. Son point de départ est relativement classique : depuis le 18esiècle le pouvoir moderne s’identifie de plus à en plus à une gestion des populations en tant qu’entités biologiques – ce que Michel Foucault a appelé la biopolitique. Le cours commence ainsi par étudier la manière dont des grilles de lecture biologiques, à commencer par la notion de race, ont été utilisées pour décrire, classer et gouverner les populations. Le cours s’arrête sur la construction de la notion de race, sur sa circulation entre biologie et politique au 18e et au 19e siècles, sur les exemples les plus marquants de politiques racialisées au 20e siècle (Empires coloniaux européens, Allemagne nazie, Etats Unis d’Amérique) ainsi que sur les redéfinitions de la biopolitique et de la race à l’ère post-génomique.

Le cours ne se limite pourtant pas à cette histoire sombre d’une « naturalisation du social » souvent pensée comme intrinsèquement pathologique ou menaçante. Il explore simultanément d’autres directions moins attendues, d’autres manières moins classiques de penser la « biologisation du politique ». Comment le domaine du biologique peut-il être le langage et le substrat de mobilisations politiques, y compris en faisant l’objet d’usages émancipateurs – c’est le cas de la notion de race elle même, dès le 19e siècle, comme d’autre formes de solidarités pensées biologiquement (ce que l’anthropologue Paul Rabinow a nommé la « biosocialité »). Comment les biosciences (en particulier l’épidémiologie) sont-elles un moyen de déchiffrer de la société, de lui révéler en quelque sorte sa propre vérité (en mettant à jour des relations et des liens de dépendance et de causalité entre humains, entre l’environnement et la société, ainsi des rapports de domination et d’inégalités ; en rendant intelligibles le passé et le futur). Comment le vivant prend-il une valeur propre, faisant l’objet de privatisation, de commercialisation, de dépossession et de spéculation ; et comment penser par là le « biocapital » ? Quelle est la place de l’histoire politique elle même dans l’histoire du vivant (par exemple à travers la transformation délibérée ou non, des êtres vivants, bactéries, plantes, humains, à l’âge industriel) ; comment poser la question de la différence biologique entre corps sans pour autant avoir recours à l’essentialisme racial ou sexué, en examinant de nouvelles manière de penser et de politiser l’incorporation des inégalités et la différentiation biosociale des corps ?

Le cours croise les perspectives de l’histoire sociale de la biologie et de la médecine, de l’histoire de la pensée politique et des sciences sociales et de l’anthropologie contemporaine des biosciences. Il alterne lectures de textes théoriques fondamentaux (Foucault, Rabinow, Farmer, Fassin) et études de cas empiriques (l’épidémie contemporaine de VIH-Sida ; médecine, race et santé publique aux USA ; la race comme objet politique au 18e et 19e siècle )


Calendrier:


26 septembre Guillaume Lachenal
Introduction au thème - Utopies et dystopies biopolitiques (1)
En guise d’introduction aux principaux concepts discutés dans le cours (biopolitique, biosocialité, etc...) nous examinerons plusieurs exemples, extrêmes par définition, de mise en œuvre d’une biologisation du politique, sous les traits de l’utopie ou de la dystopie.


3 octobre Claude-Olivier Doron
Les conditions d’émergence d’une science des races au 18e siècle (I)
Le cours revient sur les conditions épistémologiques de développement du concept de « race » en histoire naturelle au XVIIIe siècle et sur la formation d’une science des races. Il réévalue un certain nombre de lieux communs de l’histoire du racisme en montrant toute la place jouée par Buffon et des auteurs monogénistes (Blumenbach, Kant, De Pauw, Camper…) dans la formation d’une science des races.


10 octobre Claude-Olivier Doron
Les conditions d’émergence d’une science des races au 18e siècle (II)
Continuation du précédent.


17 octobre Jean Paul Lallemand
Race et santé publique aux Etats-Unis
A partir de l’étude de la communauté africaine-américaine, il s’agira de retracer et de comprendre l’évolution du concept de race dans le champ médical. D’un relatif désintérêt pour les Africains-Américains, la médecine américaine s’appuya à la fin du XIXème siècle sur la théorie microbienne pour mettre en place une institution médicale entièrement ségréguée. Ces « corps noirs » devinrent alors les lieux de stigmates (syphilis, tuberculose, fièvre jaune, hypersexualité, etc.) qui aujourd’hui encore font polémiques (contraception forcée).

Galishoff, Stuart. "Germs Know No Color Line: Black Health and Public Policy in Atlanta, 1900-1918."Journal of the History of Medicine and Allied Sciences,40.1(1985): pp. 22-41

Byrd, W. Michael, et Linda A. Clayton. An American Health Dilemma : A Medical History of African Americans and the Problem of Race,1st éd. Routledge, 2000.

Wailoo, Keith. Dying in the City of the Blues: Sickle Cell Anemia and the Politics of Race and Health. 1er éd. The University of North Carolina Press, 2001.


24 octobre Guillaume Lachenal
Utopies et dystopies biopolitiques (2)
En guise d’introduction aux principaux concepts discutés dans le cours (biopolitique, biosocialité, etc...) nous examinerons plusieurs exemples, extrêmes par définition, de mise en œuvre d’une biologisation du politique, sous les traits de l’utopie ou de la dystopie.


31 octobre Guillaume Lachenal
La biologie comme déchiffrement du monde social
En passant en revue plusieurs moments classiques de l’histoire de l’épidémiologie et de la microbiologie, du choléra au 19e siècle jusqu’à la découverte de l’épidémie de Sida au début des années 1980, nous examinerons comment les savoirs des biosciences permettent une mise en ordre, une interprétation et une reconfiguration de la réalité sociale. On s’intéressera en particulier aux formes (visuelle, statistique, narrative) de cette énonciation biologique de la société et de ses pathologies.


7 novembre Guillaume Lachenal
Biosocialité : mobilisations, solidarités, citoyennetés, identités en régime biopolitique
A travers l’étude du cas des mouvements de patients ou de malades (par exemple dans le cas de l’épidémie de VIH-Sida), nous examinerons comment la biologie peut être le support de liens sociaux et la matrice de l’émergence de collectifs et de communautés; comment la biopolitique devient l’enjeu de mobilisations et de revendications de droits.`


14 novembre Guillaume Lachenal
Standardiser, comparer, expérimenter : les enjeux politiques de la recherche biomédicale mondialisée
Nous examinerons comment la recherche biomédicale a pris, depuis la période coloniale, une dimension globalisée. Comment l’expérimentation biologique sur les humains nécessite-elle une comparaison entre des corps « commensurables », fondé sur une biologie « universelle », tout en ayant recours un différentialisme éthique qui permet et légitime la recherche sur des populations « autres » ?


21 novembre Guillaume Lachenal
Biocapital : Economies politiques du vivant
Nous retracerons comment, depuis la fin du 19eme siècle, le vivant s’est trouvé intégré, selon des modalités spécifiques, dans l’économie (marchandisation, privatisation, brevetisation). En se concentrant sur le cas des technologies biomédicales, nous suivrons les transformations de la bioéconomie, depuis la naissance du complexe biomédical jusqu’à l’ère des start-ups, de la génomique et du « biocapitalisme ».


28 novembre Jean Paul Lallemand
Le retour de la race en médecine
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les conceptions raciales en médecine et plus largement dans le monde scientifique, furent largement battues en brèche aux Etats-Unis au nom d’une médecine qui se devait d’être « aveugle à la race ». Or l’étude de l’histoire de la transfusion sanguine et de la drépanocytose, nous montre comment les conceptions raciales furent pour des raisons sanitaires, peu à peu réintroduites en médecine. Ce « retour de la race », aussi controversé soit-il, permet cependant de saisir un savoir médical à l’intersection du social et de la science. 


5 décembre Claude-Olivier Doron
Genèse de la race comme sujet politique au début du 19e siècle
Après avoir montré comment la « race » est devenue objet de savoir au XVIIIe siècle, nous nous chercherons à comprendre sous quelles conditions elle devient « sujet politique » au début du XIXe siècle ; comment elle devient un prisme pour analyser la réalité sociale et le fondement des mouvements historiques. Nous insisterons en particulier sur le rôle joué par les réflexions politiques des libéraux de la Restauration dans ce cadre.


12 décembre Claude-Olivier Doron
La théorie de la dégénérescence entre anthropologie et psychiatrie
En partant des acquis du premier cours qui soulignait l’intrication des concepts de « race » et de « dégénération » au XVIIIe siècle et l’étroit rapport établi entre la formation des « races » et le dégradation de l’espèce, nous étudierons la façon dont, au XIXe siècle, le modèle de la « dégénérescence de l’espèce » s’est développé entre l’anthropologie et la psychiatrie pour décrire tout un ensemble de segments de la population, depuis certaines types pathologiques (crétins, peuples de marais, fous et criminels) jusqu’aux classes dangereuses.

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