jeudi 7 février 2013

Propreté et saleté des espaces urbains

Propreté et saleté des espaces urbains : une analyse comparée de l’urbanité


Lieu : Laboratoire d'Ethnologie et de Sociologie Comparative (UMR7186)
Organisatrices et responsables scientifiques : Virginie Milliot (Maître de conférences, Université Paris Ouest Nanterre La Défense) et Emilie Guitard(Doctorante, Université Paris Ouest Nanterre La Défense)

Ce colloque a pour objectif de croiser différentes approches anthropologiques et historiques de la question de la propreté et de saleté urbaine. Il s’agira d’analyser les rapports au propre et au sale des citadins comme révélateurs des manières dont se régule le vivre ensemble en ville, d’aborder la question des déchets et de la saleté dans la perspective d’une réflexion sur l’urbanité. Les propositions attendues devront s’inscrire dans l’un des trois axes problématiques définis : l’espace public en question, l’élaboration de sociétés de voisins, la dimension politique de l’assainissement.

Axe 1 :L’espace public en question.
La propreté révèle un rapport au lieu habité. L’évacuation des déchets permet de distinguer les espaces et fait émerger leurs marges comme leurs frontières internes (Douglas, 2001 ; Jolé 1991). L’acte de nettoyer est en ce sens fréquemment analysé comme une « appropriation » (Jeudy, 1991) et le « salissement » comme un signe d’abandon d’un espace donné (Navez-Bouchanine, 1991). Mais d’autres contextes urbains ont pu révéler des pratiques de dépôt de déchets comme marquage positif et signe de revendication d’un espace (Serres, 2008) comme instrument d’agression vis-àvis de la propriété d’autrui ou de contestation d’une autorité publique (mairie, État) vue comme excluante par certaines catégories de citadins (Bouju, 2002, 2009). L’analyse comparée des pratiques de propreté en ville met ainsi en lumière des perceptions multiples et graduées des espaces urbains (privés, communs, transitoires, publics) quiinterrogent la conception même de l’espace public. Nous privilégierons des ethnographies et des études de cas historiques explorant différents types de rapports aux espaces urbains et problématisant à partir du déchet, de la propreté et de la saleté la question de l’espace public.

Axe 2 : L’élaboration de sociétés de voisins.
« Le nettoyage permet de construire un espace « propre » -au double sens étymologique. Ce qui en fait un puissant analyseur du lien social concernant les espaces collectifs. Leur gestion induit un rapport entre mitoyens et la propreté des espaces du voisinage peut être analysée comme une manifestation de cohésion sociale. Le souci de l’espace public implique une conception du bien commun (différent du bien communautaire, familial ou personnel) qui se construit sur la base de sociabilités urbaines (Leimdorfer 1999). Il implique un sens du collectif différent des groupes d’appartenance et a pu en ce sens être analysé, dans le contexte africain, comme un indicateur d’individualisation (Bouju, 2004). Inversement, dans des quartiers d’implantation ancienne, les appropriations considérées comme illégitimes –parce que les personnes ou les activités n’y sont pas à leur place- sont fréquemment dénoncées comme sales. En Italie, les luttes habitantes pour un territoire propre ont ainsi accompagné un refus de la présence d’intrus et les catégories de l’ordre et du propre ont donné forme dans les années 90 à un proto-racisme ne s’assumant pas encore comme tel (Gallini 1991, Dematteo 2008). La rhétorique de la propreté et de la saleté permet de discriminer des populations et des minorités jugées indésirables au vu de leur provenance rurale ou de leurs origines, de leur religion ou de leur classe sociale (Corbin, 1982). Leur incapacité à gérer de façon appropriée (selon différents registres empilés ayant trait à l’hygiène, à la religion, à la modernité ou encore à une certaine norme sociale) les déchets qui émanent de leurs corps et de leurs foyers est ainsi fréquemment invoquée pour justifier leur discrimination1. L’analyse comparée des modes de gestion de la propreté et de la saleté par les habitants nous permet ainsi d’interroger la constitution de « sociétés de voisins » et les modes d’élaboration de « nous » citadins.
Nous privilégierons ici des approches ethnographiques ou historiques analysant le rôle des pratiques de nettoyage et des conflits portant sur la propreté dans la constitution de collectifs de voisinage.

Axe 3 : La dimension politique de l’assainissement.
Nous pouvons enfin observer, une politisation de la question de la l’assainissement, véritable « arène politique » révélatrice de la gouvernance d’une ville et des relations entre ses institutions et les citadins (Bouju 2002). Les conflits portant sur la saleté des espaces publics mettent régulièrement en jeu et en question la notion « d’intérêt général ». Ils révèlent les rapports entre les habitants et les instances qui en ont la charge. Marion Ségaud (1992) a montré que la malpropreté des espaces urbains était un symptôme d’un sentiment d’insécurité du vivre en ville et d’insécurité politique. A l’inverse le fait de salir délibérément l’espace public peut être une forme de contestation des pouvoirs politiques en place (Lesbet 1992). La propreté est également un instrument du maintien de l’ordre social et nous avons vu se renforcer, en Europe, une norme de gestion des espaces publics l’associant à la sécurité. Ces critères peuvent légitimer une volonté de lissage et d’aseptisation de l’espace public remettant en question l’hospitalité urbaine. L’assainissement devient alors un « symbole de l’autorité politique et de la puissance publique» (Bouju, 2009), comme le délabrement serait un symptôme d’une défaillance des institutions en charge du bien public. Nous chercherons ici à comprendre à partir de différents exemples historiques et ethnographiques, ce que la propreté ou le non-entretien des espaces publics nous disent des rapports entre citadins et institutions politiques.

Modalités de participation
30 Mars 2013 : envoi d’un titre et d’un résumé de 3000 signes (à adresser à virginie.milliot@u-paris10.fr et emilie.guitard@gmail.com)
30 Avril 2013 : réponse des organisatrices (et responsables scientifiques) aux auteurs pour le colloque
Octobre 2013 : colloque

Bibliographie des auteurs cités
Bouju, Jacky (2004) : « Les incivilités de la société civile. Espace public urbain, société civile et gouvernance communale à Bobo-Dioulasso et Bamako (Communes 1 et 2) ». Institut d’Études Africaines. Programme Recherche Urbaine et Développement, GEMDEV-ISTED
Bouju, Jacky (2009) : « L'assainissement et la gouvernance urbaine ». In L. Atlani-Duault et L. Vidal, Anthropologie de l'aide humanitaire et du développement: des pratiques aux savoirs, des savoirs aux pratiques, Paris, Armand Colin. pp. 123-154.
Bouju, Jacky (2009): “Urban Dwellers, Politicians and Dirt. An Anthropology of Sanitation in Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)”. In G. Blundo et P.-Y. Le Meur, The Governance of Daily Life in Africa. Public and collective services and their users, Leiden, Brill Publishers, pp. 143-170
Corbin, Alain (1982), Le miasme et la jonquille: l'odorat et l'imaginaire social XVIIIème-XIXème siècles. Paris Champs Flammarion.
Dematteo L. (2008) « la défense du territoire en Italie du Nord, ou le détournement des formes de participation locale » in Anthropologica, vol 50, n° 2, pp303-321.
Douglas, Mary (2001) : De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou. Paris, La Découverte.
Gallini, Clara (1991), « Mises en scène du racisme italien » in Terrain n° 17 octobre, pp 105-119.
Jeudy, Henry Pierre (1991) : « Le choix public du propre. Une propriété des sociétés modernes » in Les annales de la recherche urbaine, n° 53, Décembre. pp 102-107.
Jolé, M. (1991), « Gérer ses résidus en public. R’Bati, Slaoui et habitants de Temara aux prises avec leurs déchets », Les Annales de la recherche urbaine, n° 53, déc, pp. 32-39.
Leimdorfer François (1999), « Enjeux et imaginaires de l’espace public à Abidjan, discours d’acteurs ». Politique africaine, n° 74 Juin, pp51-75.
Lesbet Djaffar (1992) « La résistance des ordures à Alger » in M. Ségaud, Le propre de la ville : pratiques et symboles, Éditions de l’espace Européen, pp 207-219.
Navez-Bouchanine Françoise (1991) : « L'espace limitrophe : Entre le privé et le public, un no man's land ? La pratique urbaine au Maroc », in espaces et sociétés n° 62,63. pp 135-158
Segaud, M. (dir) (1992) : Le propre de la ville : pratiques et symboles, Éditions de l’espace Européen, Coll. Géographies en liberté.



LIEUX
Maison de l'Archéologie et de l'Ethnologie, Laboratoire d'Ethnologie et de Sociologie Comparative (UMR7186) - 21, allée de l’Université
Nanterre, France (92000)

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