Paris, ville de l’amour et du sexe, du XVIIIe siècle à l’aube des années 1980
Appel à articles pour la revue Genre, sexualité & société (n. 10 / décembre 2013) : Paris, ville de l’amour & du sexe, du 18e siècle à l’aube des années 1980 sous la direction de Sylvie Chaperon, Emmanuelle Retaillaud-Bajac, Régis Revenin et Christelle Taraud
« Paris ville de l’amour », « Paris capitale du vice », depuis le 18e siècle, une mythologie s’est peu à peu sédimentée autour de la capitale et de ses quartiers « chauds », du Palais Royal jusqu’à Montparnasse en passant par les grands boulevards, Pigalle, Montmartre, ou encore la Bastille… Largement fantasmatique, cette « érotisation » de Paris n’en a pas moins prospéré sur des traits spécifiques à l’histoire de la ville. Très tôt, en effet, la capitale du royaume de France fut perçue, décrite, identifiée comme un lieu favorisant la rencontre des sexes et le commerce du sexe, en raison de la densité de son commerce galant, de l’extension de ses quartiers « chauds », du climat d’immoralité ou du goût du plaisir censés y régner. Subie ou revendiquée, cette réputation draine dès le 18e siècle un large public d’étrangers ou de provinciaux, et instaure de fait un certain climat de tolérance, de promiscuité et de rencontres, même si le moralisme et la répression restent cycliquement à l’oeuvre. Le libertinage du siècle des Lumières, les illustrés du Premier Empire, les courtisanes de la « fête impériale », le renforcement de la prostitution au 19e siècle, lié à une immigration massive, l’importance des sociabilités homosexuelles et lesbiennes, un dense réseau de cinémas pornographiques et de commerces du sexe.
S’il existe ainsi un riche corpus de sources et une abondante bibliographie sur le sujet, ce sont d’abord et avant tous les chroniqueurs, les journalistes, les amateurs d’érotisme – parfois très érudits – qui tiennent le haut du pavé dans la production d’un discours sur l’éros parisien, tandis que la tradition des guides des plaisirs parisiens, rédigés sur un mode badin, s’est maintenue jusqu’à nos jours. Les historien.ne.s, en revanche, ont souvent négligé cette facette de l’identité parisienne, même si elle court en filigrane de nombreuses études consacrées à la ville (voir notamment le colloque Être Parisien, aux Publications de la Sorbonne, en 2004), ou concernant, par exemple, la prostitution (Jean-Marc Berlière, Alain Corbin...), le théâtre (Christophe Charle...), le monde étudiant (Jean-Claude Caron...), l’homosexualité (Régis Revenin, Michael Sibalis, Florence Tamagne...) ou la nuit (Simone Delattre). Bien souvent, toutefois, les historien.ne.s de l’amour et de la sexualité (Fabienne Casta-Rosaz, Sylvie Chaperon, Anne-Marie Sohn...) ont brossé des panoramas généraux sans s’attarder spécifiquement sur Paris, ses rues, ses quartiers, ses territoires, ses habitants, ses sociabilités.
Mais la dimension érotique déborde le seul enjeu du rapprochement des chairs, pour s’inscrire dans une culture, une sociabilité, une économie, aussi, qui intègrent de multiples dimensions : par exemple, celle du flirt et de la séduction, celle des spectacles (Opéra, théâtre, music-halls...) et de la littérature (« légère » ou pornographique), mais aussi des aspects plus politiques et institutionnels, puisque les pratiques s’inscrivent dans l’horizon de seuils de tolérance qui ont varié, évolué, et ou souvent trouvé une traduction juridique. Par-delà les aspects proprement érotiques doivent enfin être envisagés l’ensemble des plaisirs qui participent étroitement à la « fête des sens » qu’entend offrir Paris – gastronomie, mode, luxe... Il va de soi qu’ils sont tissés de hiérarchies de genres, d’identités, de positions sociales, qu’il convient également de prendre en compte.
C’est cette circulation entre données positives et représentations figuratives ou narratives, ainsi que la façon dont elles se solidifient ou se défont au gré des transformations du monde urbain, que nous souhaiterions explorer à travers ce dossier thématique et ce séminaire. Ils ont pour ambition d’instituer un dialogue entre les disciplines (l’histoire bien sûr, mais aussi l’anthropologie, les arts, la géographie, la littérature, ou encore la sociologie et la science politique), de rassembler également chercheur.e.s français.es et étranger.e.s.
Quatre axes seront plus particulièrement privilégiés – ce qui n’exclut pas d’autres approches ou d’autres thématiques qui ne trouveraient pas leur place au sein des sous-thèmes suivants ; ce qui n’exclut pas non plus leur croisement :
Appel à articles pour la revue Genre, sexualité & société (n. 10 / décembre 2013) : Paris, ville de l’amour & du sexe, du 18e siècle à l’aube des années 1980 sous la direction de Sylvie Chaperon, Emmanuelle Retaillaud-Bajac, Régis Revenin et Christelle Taraud
« Paris ville de l’amour », « Paris capitale du vice », depuis le 18e siècle, une mythologie s’est peu à peu sédimentée autour de la capitale et de ses quartiers « chauds », du Palais Royal jusqu’à Montparnasse en passant par les grands boulevards, Pigalle, Montmartre, ou encore la Bastille… Largement fantasmatique, cette « érotisation » de Paris n’en a pas moins prospéré sur des traits spécifiques à l’histoire de la ville. Très tôt, en effet, la capitale du royaume de France fut perçue, décrite, identifiée comme un lieu favorisant la rencontre des sexes et le commerce du sexe, en raison de la densité de son commerce galant, de l’extension de ses quartiers « chauds », du climat d’immoralité ou du goût du plaisir censés y régner. Subie ou revendiquée, cette réputation draine dès le 18e siècle un large public d’étrangers ou de provinciaux, et instaure de fait un certain climat de tolérance, de promiscuité et de rencontres, même si le moralisme et la répression restent cycliquement à l’oeuvre. Le libertinage du siècle des Lumières, les illustrés du Premier Empire, les courtisanes de la « fête impériale », le renforcement de la prostitution au 19e siècle, lié à une immigration massive, l’importance des sociabilités homosexuelles et lesbiennes, un dense réseau de cinémas pornographiques et de commerces du sexe.
S’il existe ainsi un riche corpus de sources et une abondante bibliographie sur le sujet, ce sont d’abord et avant tous les chroniqueurs, les journalistes, les amateurs d’érotisme – parfois très érudits – qui tiennent le haut du pavé dans la production d’un discours sur l’éros parisien, tandis que la tradition des guides des plaisirs parisiens, rédigés sur un mode badin, s’est maintenue jusqu’à nos jours. Les historien.ne.s, en revanche, ont souvent négligé cette facette de l’identité parisienne, même si elle court en filigrane de nombreuses études consacrées à la ville (voir notamment le colloque Être Parisien, aux Publications de la Sorbonne, en 2004), ou concernant, par exemple, la prostitution (Jean-Marc Berlière, Alain Corbin...), le théâtre (Christophe Charle...), le monde étudiant (Jean-Claude Caron...), l’homosexualité (Régis Revenin, Michael Sibalis, Florence Tamagne...) ou la nuit (Simone Delattre). Bien souvent, toutefois, les historien.ne.s de l’amour et de la sexualité (Fabienne Casta-Rosaz, Sylvie Chaperon, Anne-Marie Sohn...) ont brossé des panoramas généraux sans s’attarder spécifiquement sur Paris, ses rues, ses quartiers, ses territoires, ses habitants, ses sociabilités.
Mais la dimension érotique déborde le seul enjeu du rapprochement des chairs, pour s’inscrire dans une culture, une sociabilité, une économie, aussi, qui intègrent de multiples dimensions : par exemple, celle du flirt et de la séduction, celle des spectacles (Opéra, théâtre, music-halls...) et de la littérature (« légère » ou pornographique), mais aussi des aspects plus politiques et institutionnels, puisque les pratiques s’inscrivent dans l’horizon de seuils de tolérance qui ont varié, évolué, et ou souvent trouvé une traduction juridique. Par-delà les aspects proprement érotiques doivent enfin être envisagés l’ensemble des plaisirs qui participent étroitement à la « fête des sens » qu’entend offrir Paris – gastronomie, mode, luxe... Il va de soi qu’ils sont tissés de hiérarchies de genres, d’identités, de positions sociales, qu’il convient également de prendre en compte.
C’est cette circulation entre données positives et représentations figuratives ou narratives, ainsi que la façon dont elles se solidifient ou se défont au gré des transformations du monde urbain, que nous souhaiterions explorer à travers ce dossier thématique et ce séminaire. Ils ont pour ambition d’instituer un dialogue entre les disciplines (l’histoire bien sûr, mais aussi l’anthropologie, les arts, la géographie, la littérature, ou encore la sociologie et la science politique), de rassembler également chercheur.e.s français.es et étranger.e.s.
Quatre axes seront plus particulièrement privilégiés – ce qui n’exclut pas d’autres approches ou d’autres thématiques qui ne trouveraient pas leur place au sein des sous-thèmes suivants ; ce qui n’exclut pas non plus leur croisement :
1. Constructions et évolutions de l’éros parisienComment Paris, rivale et complémentaire de Versailles, s’affirme-t-elle dans l’économie et la culture des plaisirs (les incursions de la Cour à Paris, Paris capitale du jeu, des bals, de la mode...) ? Le libertinage est-il un phénomène prioritairement parisien ?
On pourra s’intéresser ici à la création littéraire des types et des lieux érotiques parisiens, d’abord au 18e siècle (Casanova, Laclos, Louis-Sébastien Mercier, Rétif de la Bretonne, Sade...), puis à travers l’érotisation de Paris et de la « Parisienne » dans la littérature du 19e siècle (Balzac...), ou encore à la presse, la littérature de masse, la chanson ou le théâtre, qui convergent pour célébrer les séductions érotiques de cette « vie parisienne », chantée en 1866 par Offenbach.
Il s’agit aussi d’analyser la manière dont s’élabore une dialectique entre représentations et comportements sociaux : ce puissant réservoir imaginaire dont a pu se prévaloir Paris n’a-t-il pas constitué un puissant moteur de ses activités culturelles ou économiques ? Et aussi, comment ces représentations s’articulent-elles à l’imaginaire national (la France, vieux pays de la « galanterie ») ? Comment Paris devient-elle, au cours du premier 19e siècle, la capitale de l’érotisme mondial ?
On se demandera enfin comme cet imaginaire a évolué avec le temps. La réputation encore vivace de Paris comme « ville de l’amour » ou « ville romantique » (qui alimente une industrie du voyage de noces ou du week-end en amoureux...) n’est-elle pas la version tempérée d’une réputation dont les feux les plus vifs auraient brillé avant le 20e siècle ?
2. Les territoires parisiens du sexe
Il s’agira d’étudier la géographie parisienne des lieux de la sexualité, leurs facteurs de localisation et de déplacement, et les milieux socioculturels qu’ils drainent, principalement aux 19e et 20e siècles (et leurs mutations sur une longue période) : quartiers (Palais-Royal, Montmartre, Montparnasse, les grands boulevards, Bastille, le Marais, etc.), réseaux d’activités (maisons de tolérances, lieux de prostitutions, lieux de drague, bals publics, cafés et cabarets, bains douches, maisons d’éditions pornographiques ou érotiques, cinémas pornographiques, peep-shows et sexshops, etc.), mais aussi réseaux de sociabilité qui y sont associés (prostitué.e.s, client.e.s et proxénètes, gigolos et courtisanes, éditeurs, marchands et amateurs d’érotisme, etc.).
3. Paris, terre des révolutions sexuelles ?
En tant que grande métropole, Paris a souvent abrité les avant-gardes de la libéralisation des moeurs, des « lionnes » de la monarchie de Juillet aux garçonnes des années 1920, des anarchistes amateurs de « moeurs libres » aux jeunes révoltés de Mai 68, appelant à « jouir sans entrave ». Par ailleurs, la ville a souvent représenté une terre d’accueil pour de nombreux provinciaux ou étrangers, qui souhaitaient pouvoir y vivre plus librement leur sexualité.
Dès lors, existe-t-il un lien sous-jacent entre mouvements révolutionnaires et mouvements de libération des moeurs ? Et comment ces deux dimensions se nourrissent-elles ou se contredisentelles ? La question se pose dès la Révolution de 1789 qui, tout en visant à mettre un frein aux dévergondages aristocratiques, enclenche aussi le processus de laïcisation qui, plus tôt qu’ailleurs, dégagera partiellement la France de l’emprise de la morale religieuse.
Plus largement, cette réputation libertine de la ville n’est-elle pas un élément de son rayonnement national et international, de son aura progressiste et émancipée ?
4. Réguler le sexe à Paris
Réputée libérale, Paris n’en a pas moins été le territoire d’élection de la répression sexuelle à des époques et sous des formes diverses : réglementations de la prostitution, mise en place d’une brigade des moeurs destinée à réprimer le racolage de l’outrage public à la pudeur, programmes de prophylaxie, surveillance des homosexuels, censure de la presse, moralisation de la presse pour enfants… La Première et la Seconde Guerres mondiales, mais aussi la guerre froide, qui restent des temps forts de tentative de contrôle en matière de moeurs sexuelles, pourront faire l’objet d’une attention plus spécifique, ainsi que le Paris de l’Occupation, défini tout à la fois comme « ville érotique » et « ville bordel » pour soldats allemands.
Enfin, on valorisera les propositions qui, par-delà les sources écrites, sauront mobiliser aussi des catégories variées d’images et d’objets : affiches, cartes postales, chansons, films, gravures, guides touristiques, photographies, tableaux…
ParticipationNous attirons l’attention des auteur.e.s sur le fait que les propositions doivent nécessairement intégrer une réflexion spécifique sur Paris, et non pas utiliser Paris comme simple exemple. Les propositions comprennent un titre, un résumé d’une page maximum, ainsi que les nom, prénom, statut, rattachement institutionnel et adresse e-mail de l’auteur.e. Les propositions doivent être adressées à sylvie.chaperon@free.fr ; retaillaudbajac@univ-tours.fr ; regisrevenin@free.fr et christelle.taraud@wanadoo.fr ainsi qu’au comité de rédaction de la revue : gss@revues.orgLa date limite de remise des propositions est fixée au lundi 17 décembre 2012.
Les auteur.e.s seront avisé.e.s par mail des propositions retenues fin janvier 2013.
Les articles seront à envoyer au plus tard le 20 mai 2013. Selon la charte déontologique de la revue Genre, sexualité & société, chaque article fera l’objet d’une double évaluation anonyme. A noter donc que l’acceptation de la proposition ne signifie pas acceptation automatique de l’article.
Ce dossier sera discuté lors de deux journées d’étude organisées dans le cadre du séminaire Approches historiques des sexualités 2013-2014, consacré à l’eros parisien, co-organisé par le Centre d'histoire du 19e siècle (Université Paris 1-Panthéon Sorbonne / Université Paris-Sorbonne), le Centre d’histoire sociale du 20e siècle (Université Paris 1-Panthéon Sorbonne / CNRS), le laboratoire Framespa (Université Toulouse 2-Le Mirail), ainsi que par New York University en France. Le programme des journées d’étude sera communiqué ultérieurement.
Les auteur.e.s seront avisé.e.s par mail des propositions retenues fin janvier 2013.
Les articles seront à envoyer au plus tard le 20 mai 2013. Selon la charte déontologique de la revue Genre, sexualité & société, chaque article fera l’objet d’une double évaluation anonyme. A noter donc que l’acceptation de la proposition ne signifie pas acceptation automatique de l’article.
Ce dossier sera discuté lors de deux journées d’étude organisées dans le cadre du séminaire Approches historiques des sexualités 2013-2014, consacré à l’eros parisien, co-organisé par le Centre d'histoire du 19e siècle (Université Paris 1-Panthéon Sorbonne / Université Paris-Sorbonne), le Centre d’histoire sociale du 20e siècle (Université Paris 1-Panthéon Sorbonne / CNRS), le laboratoire Framespa (Université Toulouse 2-Le Mirail), ainsi que par New York University en France. Le programme des journées d’étude sera communiqué ultérieurement.
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