dimanche 7 novembre 2021

Vieillir chez soi

Vieillir chez soi de l'Antiquité au XXIe siècle. Regards sur le maintien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie
 

Appel à communications



Dans le colloque intitulé « Vieillir chez soi de l’Antiquité au XXIe siecle. Regards sur le maintien à domicile des personnes agées en perte d’autonomie », nous souhaitons poursuivre le fructueux dialogue interdisciplinaire qui s’est établi dans la capitale picarde lors du colloque sur « La prise en charge des personnes âgées dépendantes en établissement. Regards sur la crise du modèle français des EHPAD ». Les analyses des historiens, des historiens du droit, des sociologues, des juristes, des médecins, des philosophes, des politistes ou des économistes seront indispensables pour interroger dans une démarche diachronique certains thèmes du maintien à domicile qu’il s’agisse de sa genèse, de son organisation ou de ses enjeux.


Présentation

Vieillir chez soi de l’Antiquité au XXIe siècle. Regards sur le maintien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie. Colloque interdisciplinaire. Université de Picardie Jules Verne, Logis du Roy, 9 et 10 juin 2022.

L’ampleur inédite mais prévisible du vieillissement de la population française qui se profile à l’horizon 2050[1], justifie que la question de la prise en charge de la vieillesse, plus précisément celle en perte d’autonomie, soit devenue l’un des enjeux essentiels de notre démocratie sociale pour les années à venir. Si la grande majorité des Français déclare vouloir vieillir chez elle[2], la réalité est plus nuancée. Car dans les faits, maintenir les seniors de 65 ans et au-delà dans leur habitat quand ils commencent à souffrir de pathologies physiques ou psychiques rendant les actes de la vie quotidienne difficiles, se révèle encore bien souvent un choix de vie complexe à aménager, contraignant et décourageant pour la personne âgée, son entourage et sa famille. C’est ainsi qu’en France la vieillesse dite fragile et a fortiori dépendante est, plus largement qu’ailleurs en Europe, accueillie en établissement, notamment en Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

La dramatique crise sanitaire due à la Covid-19 qui a très durement affecté notre système de santé en 2020 a été le révélateur des graves dysfonctionnements que connaissent les EHPAD depuis plusieurs années. Les personnes âgées résidant dans ces établissements ont payé un lourd tribut à la pandémie. Cette catégorie à elle seule représente environ 44 % des décès survenus, ce qui a démontré que la vie en collectivité peut « devenir un piège pour la personne fragile »[3].

À titre de comparaison, si l’on s’appuie sur les données communiquées par le gouvernement, il faut noter que le « domicile » a mieux traversé cette période difficile. Il semble même que cette épidémie et ses ravages en établissement aient plus que jamais renforcé la volonté, tant des personnes âgées que des familles, de faire le choix du vieillir chez soi, c’est-à-dire de finir ses jours dans son cadre de vie en recevant, selon leurs besoins, les aides financière, technique, administrative et médicale adéquate, et en bénéficiant aussi de l’aide de services à domicile pour les tâches du quotidien.

Mais faut-il encore qu’il soit possible de « bien » vieillir chez soi. Or en l’état, les indéniables défaillances de l’actuel système de maintien à domicile (MAD) soulignent l’insuffisance des politiques publiques, menées jusqu’alors dans ce domaine, ce qui renvoie à la nécessité d’interroger le système de maintien à domicile français tel qu’il s’est construit et fonctionne.

Vieillir et mourir chez soi, dans un lieu que l’on s’est approprié n’est certes pas un fait nouveau, mais cet idéal valorisé depuis l’Antiquité s’est toujours avéré très difficile à mettre en œuvre pour les personnes vieillissantes, incapables de travailler, malades, sans famille et sans ressources suffisantes, d’autant que depuis le XIXe siècle les pouvoirs publics ont privilégié leur prise en charge en hospice.

Ce n’est qu’à partir de la publication du fameux rapport Laroque en 1962, que les autorités publiques commencent enfin à renoncer à la traditionnelle politique de prise en charge institutionnelle et initient un plan d’ensemble pour le maintien à domicile des personnes âgées, avec la création des premiers services d’aide-ménagère. Cette volonté de développer le maintien à domicile et d’en faire dorénavant la norme est certes justifiée par le souci d’améliorer la prise en charge et la fin de vie des personnes âgées, mais rapidement elle s’inscrit aussi dans une logique budgétaire du moindre coût. Il est manifeste, au tournant des années 1970-1980, que le système français de soutien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie est encouragé et pensé comme un moyen de réduire les dépenses publiques face à une prise en charge en établissement, beaucoup plus coûteuse.

Cette conception traversera les décennies suivantes « Vieillir chez soi, on considère généralement que cette solution est préférable pour la personne âgée et qu’elle pourrait présenter des avantages financiers significatifs en termes de dépenses de santé »[4]. Dès lors, on comprend mieux pourquoi – en dépit d’avancées comme le développement des services de soins à domicile pour les personnes âgées en 1978 –, la France a pris du retard dans l’instauration d’une véritable politique globale de maintien à domicile des personnes âgées fragiles et dépendantes. Bien que tardif, l’essor des métiers d’aide et de soins s’explique par le fait qu’ils sont considérés comme un réservoir de création d’emplois peu qualifiés et exclusivement féminins.

Il faut attendre le début du XXIe siècle pour que commencent à être réorganisés et revalorisés les métiers de l’aide à domicile, pour qu’apparaissent des entreprises privées dans ce domaine et pour que soit instaurée l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA), nouvelle prestation favorisant le maintien à domicile.

Le maintien à domicile des personnes âgées fragiles, tel qu’il s’est lentement institué et organisé possède des racines anciennes qui remontent bien au-delà des années 1960 et du rapport Laroque[5]. Etudier son évolution historique se révèle donc essentiel pour mieux comprendre les inflexions politiques et économiques qui l’ont façonné, avec ses spécificités comme ses carences. Cela permettra également de présenter une analyse affinée des enjeux contemporains, éclairés par cette mise en perspective.

Dans ce colloque qui se tiendra à Amiens les 9 et 10 juin 2022, nous souhaitons poursuivre le fructueux dialogue interdisciplinaire qui s’est établi dans la capitale picarde lors du colloque de 2019 sur « La prise en charge des personnes âgées dépendantes en établissement. Regards sur la crise du modèle français des EHPAD»[6]. Les analyses des historiens, des historiens du droit, des sociologues, des juristes, des médecins, des philosophes, des politistes ou des économistes seront indispensables pour interroger dans une démarche diachronique certains thèmes du maintien à domicile qu’il s’agisse de sa genèse, de son organisation ou de ses enjeux.

À titre d’exemples, pourraient être analysés les mécanismes juridiques qui depuis l’Antiquité permettaient aux personnes âgées d’avoir l’assurance légale, face à leurs héritiers ou parents, de pouvoir demeurer et mourir chez elles. De tels mécanismes sont-ils déjà prévus dans les droits de l’Antiquité ? Qu’en est-il du droit coutumier ou de l’Ancien Droit ? Se maintenir à domicile dans de bonnes conditions requiert des moyens financiers souvent supérieurs aux revenus des personnes fragiles ; dans cette optique, qu’en est-il du viager depuis ses origines ? Ce système de vente semble connaître actuellement un regain d’intérêt. S’agit-il d’un effet de la crise de la Covid-19 ? La notion de « chez soi » ou de domicile pourrait également être étudiée par le prisme des transferts de propriété, qui permettaient parfois d’assurer un logis à un proche impécunieux. De même, une analyse de l’évolution historique des mesures de protection civile des personnes âgées et de leurs possibles dérives, conduisant à leur placement en institution, pourrait être menée. Quel bilan peut-on aujourd’hui établir de l’action des mandataires judiciaires à la protection des majeurs en matière de maintien à domicile ?

L’organisation et le financement des « secours à domicile » puis de « l’aide à domicile » seront également abordés. Comment les institutions charitables, les pouvoirs publics et les collectivités locales ont-ils administré les secours à domicile dont bénéficiaient notamment les personnes âgées entre le XVIIe et le XIXe siècle et avec quels résultats? Comment le contexte politique et économique a-t-il influencé l’organisation du maintien à domicile moderne et avec quels moyens aux XXe et XXIe siècle ? Quelles aides financières et quelle coordination pour la personne fragile ? Quels sont les enjeux des politiques locales et comment réduire les inégalités territoriales ? Quels financements publics sont consacrés au maintien à domicile ? Qu’en est-il de nos voisins européens ?

Doit aussi être envisagée la place primordiale et longtemps mésestimée des aidants familiaux, très largement composés de femmes. Quel statut pour ces aidants ? Comment concilier carrière professionnelle et rôle de proche aidant ? Quid de l’adaptation du droit du travail ? Quel partage des tâches ou quelles stratégies sont mis en place entre l’aidant familial et les professionnels de l’aide à domicile ? Quant aux associations d’aidants sont-elles suffisamment visibles pour peser sur le débat politique ?

Si les aidants ont besoin d’être mieux accompagnés et reconnus, il en est indubitablement de même pour les professionnels des métiers du lien et du maintien à domicile qui ont exercé avec dévouement et exemplarité leur profession, lors de la crise sanitaire et du confinement, bien souvent sans même disposer du strict minimum comme les masques[7]. Afin de mieux appréhender ces professions trop longtemps dévalorisées, il conviendrait de revenir sur la genèse et la transformation de ces métiers afin de comprendre comment ils se sont organisés et professionnalisés. L’essor des réseaux associatifs de services d’aide à la personne et leurs enjeux politiques pourraient également être retracés. La question de la formation et du manque d’attractivité de ces carrières est, à l’évidence, un élément important du débat. Comment prendre soin des plus fragiles quand on est soi-même en situation de fragilité sociale ? Comment revaloriser les métiers du « care » ? Les exemples étrangers du « care management » sont-ils transposables en France ? Le questionnement est d’autant plus important que l’on semble assister à certaines dérives du secteur privé. Ainsi, doit-on craindre aujourd’hui en France une « ubérisation » des services d’aide à domicile, avec notamment l’essor du capitalisme des plateformes ? Il convient aussi de s’interroger sur l’engagement de la responsabilité civile et de la responsabilité pénale des acteurs de l’aide à domicile qui sont au contact quotidien de personnes âgées fragiles.

In fine, il est aussi légitime de se demander quelles sont les questions médicales et éthiques posées par le maintien à domicile et comment respecter le principe du libre choix du lieu de vie pour la personne âgée dépendante ? De même, les limites du maintien à domicile et l’entrée en EHPAD sont des thèmes à approfondir. Quelles sont actuellement les alternatives à l’entrée en institution ? La classique dichotomie domicile versus EHPAD ne pourrait- elle pas être repensée pour aboutir à une forme de complémentarité ? Comment faire évoluer l’habitat classique des seniors pour qu’il devienne par exemple communautaire, inclusif ou intergénérationnel ? Quelles innovations et progrès techniques pour l’habitat des personnes âgées de demain ? 


Modalités de soumission

Les propositions de communication sont à adresser aux organisateurs sous la forme d’une présentation succincte (2500 signes maximum), accompagnées d’un CV synthétique
avant le 1er décembre 2021

impérativement sur les deux adresses suivantes : sophie.sedillot@u-picardie.fr et georges.faure@u-picardie.fr

Les actes du colloque feront l’objet d’une publication.
 


Comité d’organisation
Georges Fauré, Professeur de droit privé, Président honoraire de l’Université de Picardie Jules Verne
Sophie Sédillot, Maître de conférences en histoire du droit à l’Université de Picardie Jules Verne

 
Comité scientifique
Christophe Capuano , Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Grenoble-Alpes
Morgane Daury, Professeur de droit privé à l’Université de Picardie Jules Verne
Georges Fauré, Professeur de droit privé à l’Université de Picardie Jules Verne
Marion Girer, Maître de conférences HDR en droit privé à l’Université Jean Moulin Lyon 3
Cédric Glineur, Professeur d’histoire du droit à l’Université de Picardie Jules Verne
Cécile Manaouil, Professeur en médecine légale et sociale à l’Université de Picardie Jules Verne
Sophie Sédillot, Maître de conférences d’histoire du droit à l’Université de Picardie Jules Verne
Olivier Vernier, Professeur d’histoire du droit à l’Université de Nice Côte d’Azur
François Vialla, Professeur de droit privé à l’Université de Montpellier
Jingyue Xing-Bongioanni, Maîtresse de conférences en sociologie à l’Université de Lille
Notes

[1] Nathalie BLANPAIN, « De 2,8 millions de seniors en 1870 à 21,9 millions en 2070 ? », in France Portrait social, coll. Insee Références, novembre 2018.

[2] Dominique LIBAULT, Grand âge et autonomie, Rapport remis à la ministre des Solidarités et de la Santé, 28 mars 2019.

[3] Christophe CAPUANO, Le maintien à domicile. Une histoire transversale (France, XIXe-XXIe s.), Paris, Rue d’Ulm, coll. « Sciences sociales », 2021, p. 82.

[4] Rapport Mondial sur le vieillissement et la santé, OMS, 2016, p. 42.

[5] Bernard ENNUYER, Repenser le maintien à domicile. Enjeux, acteurs, organisation, Paris, Dunod, 2° éd., 2014, p. 5-8.

[6] Georges FAURE, Sophie SEDILLOT ( dir.), La prise en charge des personnes âgées dépendantes en établissement. Regards sur la crise du modèle français des EHPAD, Amiens, Editions du CEPRISCA, Paris, Diffusion Lextenso, 2021.

[7] Bruno BONNELL, François RUFFIN, Rapport d’information sur les « métiers du lien », Commission des affaires économiques, Assemblée nationale, 24 juin 2020.

Colloque organisé par Georges Fauré, Professeur de droit privé, Président honoraire de l’Université de Picardie Jules Verne et Sophie Sédillot, Maître de conférences en histoire du droit à l’Université de Picardie Jules Verne.

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