Démographie et crises
Appel à communications
XXIe Colloque international de l’Aidelf
Athènes (Grèce) • 24-27 mai 2022
Principales échéances
1er octobre 2021 Lancement du 2nd appel à communication
15 novembre 2021 . . Date limite de dépôt des propositions de nouvelles communications
20 décembre 2021 Notification aux auteurs des communications retenues
28 février2022 Remise de la version finale de la communication pour les boursiers
de l’Aidelf
25-29 mai 2020 . . . . Colloque de l’Aidelf à l’Institut français de Grèce à Athènes
Soumission des propositions sur le site de l’AIDELF
www.aidelf.org/colloque
Contact par courrier électronique à : aidelf@ined.fr
Pour son XXIe colloque international, l’Association Internationale des Démographes de Langue Française se réunira en Grèce, à l’Institut Français d’Athènes en mai 2022, pour échanger sur les
relations réciproques entre crises et démographie.
Les crises présentent une forte diversité puisqu’elles peuvent être imaginaires (le catastrophisme)
ou réelles, économiques, migratoires, politiques, sanitaires, environnementales, etc. Elles peuvent
exercer leurs effets à des échelons internationaux, nationaux, régionaux ou locaux, affecter des
populations dans leur ensemble ou, le plus souvent, des groupes sociaux différenciés. Elles peuvent
générer des réponses démographiques de toutes sortes (au niveau de la mortalité, de la fécondité, de
la nuptialité, des migrations), marquant l’intensité et/ou le calendrier. Elles ont des impacts durables ou temporaires, voire compensés (effets de rattrapage). Ne l’oublions pas, la démographie en ses structures et dynamiques peut aussi contribuer aux crises. Enfin, la capacité, au niveau individuel
ou collectif (politique), à faire face aux crises, à les prévenir ou à les atténuer, est également une
thématique importante, de même que les effets positifs, en termes notamment d’opportunités, que
la crise peut offrir lorsqu’elle brise des cadres conservateurs ou contraint leur évolution.
Pour structurer l’appel à communication, six thèmes sont déclinés ci-dessous.
1. Le catastrophisme en démographie
Les démographes seraient-ils de grands inquiets ? Constituée, depuis les premiers balbutiements
de la statistique de population au xviiie siècle, comme une science de la prévision, la démographie
est par nature tournée vers le futur ; or ce dernier a souvent été envisagé avec anxiété. Le xixe siècle
s’est ouvert sur la grande controverse entre malthusiens et anti-malthusiens – chaque camp prédisant
une tragédie, qu’elle soit liée à l’excès ou à la raréfaction, si les comportements démographiques
n’étaient pas réorientés dans le sens requis. A partir de cet acte inaugural, de grands drames (pas de
simples crises conjoncturelles mais des tragédies irrémédiables) menaçant la population ont régulièrement été prophétisés.
Certains de ces drames touchaient principalement à la quantité des individus, voire à la survie même de l’espèce (dépopulation, dénatalité ; ou a contrario surpopulation et « bombe P ») ; d’autres
renvoyant plutôt à la composition interne (« invasion » migratoire, vieillissement) ou à la « qualité »
de la population (dégénérescence, prolifération des « tarés » ou détérioration du stock génétique…).
Pourtant, comme le montre l’histoire contemporaine, les cris d’alarme récurrents autour du « suicide
de la race » ou du « déclin de l’Occident », n’empêchèrent nullement la survenue de ces catastrophes
de fait que furent les deux guerres mondiales. Ils contribuèrent plutôt à pousser les esprits dans la
spirale funeste ; puis après 1945 ils servirent de fondement aux politiques directives (voire coercitives)
de contrôle de la fécondité imposées aux pays en développement.
Cependant, les fléaux épidémiques comme la peste et le choléra, de même que la hantise de dépopulation ou de surnombre, ont aussi été d’importants stimulants pour la réflexion démographique,
contribuant indirectement au progrès (épistémologique, théorique, méthodologique) de la discipline.
A l’heure où certains auteurs cherchent à promouvoir une nouvelle discipline – la « collapsologie
» –, il est judicieux de s’interroger collectivement sur ce qu’implique la pensée de la « catastrophe
». C’est le rôle du savant qui est en jeu ici : comment anticiper et prévenir efficacement les
risques objectifs
? Comment rendre audible la menace – y compris face aux entreprises de négation
? Comment se prémunir contre les éventuels abus de la rhétorique catastrophiste lorsque celle-ci
relève du déclinisme ou de l’eschatologie ?
Conviant démographes, démographes historiens et historiens des savoirs sur la population, ainsi
que tous les praticiens des disciplines connexes, cet appel à communications inclut les questions
suivantes :
• A qui sert le catastrophisme ? Aide-t-il à anticiper et prévenir ou vise-t-il à contrôler, imposer,
contraindre ?
• Qui sont les entrepreneurs de catastrophe ?
• Quelle part de panique morale cachent leurs cris d’alarme ? Comment se construit symboliquement,
socialement, politiquement, une catastrophe (future, en cours ou passée) ?
• Un regard rétrospectif est aussi bienvenu : comment étudier à nouveaux frais les phénomènes
démographiques qui furent jadis pensés sur le mode dramatique ?
• Comment les travaux démographiques et les controverses entre démographes sont-ils instrumentalisés
pour dramatiser ou nier les enjeux du futur ?
• Comment doivent réagir les démographes confrontés à une instrumentalisation de leurs savoirs ?
Notamment les récits assimilant les événements et les comportements démographiques à des
catastrophes.
Cette liste n’est pas limitative et peut être enrichie de vos propositions en répondant à cet appel.
2. Des « chevaliers de l’apocalypse » aux maladies émergentes
2.1. Les grandes faucheuses : crises de mortalité et au-delà
Parfois dénommés « chevaliers de l’Apocalypse », les trois grands fléaux (guerre, épidémie,
famine) réputés faucher les âmes en masse pourront être analysés à travers les conséquences qu’ils
ont pu avoir sur les populations, mais aussi en situant les contextes démographiques qui ont pu freiner
ou favoriser voire causer leur survenue.
Si les conséquences de ces crises sur la mortalité peuvent sembler évidentes, de fortes particularités,
notamment en termes de profil par sexe et âge, peuvent être mises en évidence.
Lorsque ces 3 fléaux se combinent, ils affectent la mortalité dans des configurations variables,
en partie modulées par leur durée et l’intensité de leur manifestation. Ces crises meurtrières
sont également souvent à l’origine de migrations diversement contraintes, susceptibles de participer
à l’extension des fléaux. Ces migrations ont non seulement des impacts démographiques
et socio-économiques, mais en outre elles interagissent avec les autres phénomènes démographiques
(à travers la mortalité et la fécondité des déplacés par exemple, ou via la recomposition
des ménages). La fécondité et la vie familiale peuvent être très fortement perturbées, de façon
directe, par le veuvage, l’orphelinage et le retard des unions, mais également par des modifications
des comportements et relations dans les familles, par la transformation des structures
domestiques. La façon dont une population fait face à une crise de ce type et, le plus souvent,
reconstitue ses capacités d’existence et de développement, mérite une attention particulière.
Enfin, des conséquences à long terme, qui semblent agir comme des traumatismes « enfouis »
dans la « mémoire » des populations, peuvent se manifester dans les comportements démographiques
par des effets de sélection ou de fragilisation des personnes marquées par ces crises,
notamment si elles les ont traversées dans l’enfance.
Les contextes démographiques dans lesquels ces trois grands fléaux surviennent peuvent ne pas
être fortuits. C’est notamment le cas s’agissant des conflits violents lorsque des groupes perçoivent
leur croissance démographique et/ou celle des autres sous l’angle de la rivalité. Une expansion
rapide de la population associée à des densités trop fortes peut dans de telles conditions déboucher
sur des crises internes, voire sur le développement et la continuation de guerres de colonisation. La
composition par âge d’une population peut également constituer un facteur favorisant l’émergence
de conflits violents, en particulier lorsque les jeunes adultes sont très surreprésentés.
2.2. Maladies contagieuses, maladies émergentes
L’histoire de l’humanité a été marquée par de grandes épidémies qui ont eu de lourdes conséquences
sur les populations. Plus récemment, des agents pathogènes affectant les animaux ont pu,
après mutation, se transmettre à l’homme et avoir de graves conséquences sur sa santé. C’est le cas du
virus du Sida. Un autre exemple est celui des maladies transmises au cours/par les soins médicaux,
maladies dites « nosocomiales ». L’exemple type en est le virus de l’hépatite C dont la propagation,
particulièrement sévère en Egypte, s’est faite par des injections utilisant des seringues mal ou non
stérilisées au cours des campagnes de traitement de masse contre la bilharziose, menées entre 1960
et 1980. Tandis que les maladies émergentes sont dues à de nouveaux pathogènes, les maladies réémergentes sont liées à des pathogènes dont l’impact, la gravité ou l’aire de répartition géographique
se sont brusquement modifiés. Sont apparues au-devant de la scène des maladies particulièrement
létales comme la fièvre Ebola, le VIH, ou le SRAS, mais aussi des maladies bien connues comme
la grippe dont certaines souches ont un potentiel pathogène terrifiant du fait de leur sévérité et de
leur contagiosité. Des maladies en partie contrôlées au cours de la seconde moitié du 20e siècle,
constituent aujourd’hui un nouvel enjeu de santé publique. On pense par exemple à l’émergence de
bactéries résistantes aux antibiotiques responsables d’infections particulièrement difficile ou impossible
à juguler ou la résistance aux antiparasitaires qui bouleverse périodiquement l’épidémiologie du
paludisme. Enfin, on observe l’émergence de nouveaux pathogènes tels le Chikungunya, le Zika, ou
la maladie de Lyme, d’une moindre sévérité, mais dont les conséquences d’un point de vue sanitaire
ou économique sont encore mal connues.
A nouveau, l’évolution démographique est un important déterminant pour le développement
de ces maladies émergentes ou ré-émergentes, notamment la croissance soutenue de la population
mondiale, mais aussi la mondialisation et la formation d’immenses mégapoles. Parmi les facteurs
favorisant l’émergence de ces épidémies ou leur diffusion, on compte ainsi la mobilité accrue des
populations grâce au développement des moyens de transports, notamment aériens, très rapides et sur
de longues distances. Contrairement aux hommes, les pathogènes ignorent les frontières nationales.
En réponse à la pression démographique, les nouvelles conditions d’élevage intensif avec l’usage
massif d’antibiotiques ont également favorisé l’émergence de nouvelles infections. Ceci amène à
repenser l’interdépendance entre hommes, animaux et les écosystèmes. Les changements climatiques
(voir section 3 ci-dessous) ont également favorisé l’apparition ou la multiplication des vecteurs de
certaines maladies. Enfin, les conditions de vie très précaires de certaines populations, marquées
par des crises continues (voir la section 5 de cet appel) les rendent particulièrement vulnérables à
certaines pathologies. Les progrès de la médecine pour enrayer ces maladies grâce à des vaccins ou
à des traitements ont parfois mis un frein à l’expansion de ces épidémies dans les pays développés,
comme par exemple pour le VIH. Mais ces avancées médicales ne bénéficient pas de façon égale à
tous, engendrant ainsi de nouvelles disparités entre les pays les plus développés et les pays en développement, ou même, au sein des populations d’un même pays, en fonction des possibilités d’accès
aux soins, des politiques et des systèmes de santé nationaux.
Comment reconnaitre et mieux mesurer ces nouveaux phénomènes ? Quelle est la contribution
de l’urbanisation, des mobilités de la mondialisation ou des changements climatiques ? Quelles sont
les conséquences de ces maladies émergentes sur la morbidité et la mortalité des populations, sur
leur fécondité, sur les migrations, sur les systèmes sanitaires eux-mêmes ? Dans quelle mesure la
transition sanitaire est-elle remise en cause ?
3. « Crise environnementale », crises « naturelles »
S’il est de plus en plus souvent question de crise environnementale, en particulier à propos du
changement climatique, l’histoire longue montre que les populations humaines ont dû s’adapter à
des environnements parfois en profonde transformation. Plus récemment, les activités humaines
sont accusées d’être en partie à l’origine du changement climatique en cours et à venir, sans que soit
aisément distinguées les parts revenant à la croissance de la population et aux modes de vie, ce qui
rend nécessaire une combinaison d’actions visant l’atténuation et l’adaptation.
En lien avec le changement climatique, les catastrophes dites « naturelles » (mais dans quelle mesure
le sont-elles vraiment ?) sont jugées plus fréquentes et plus intenses, sans que ce fait soit établi de
manière incontestable. De toute manière, la progression de la population fait qu’un nombre croissant
d’habitants sont vulnérables à des événements extrêmes. Est-il possible de prévenir ces risques, de les
anticiper à partir d’une modélisation fine des épisodes antérieurs ? Lorsque la catastrophe survient, au-delà de la mesure du nombre de morts, de blessés et de personnes évacuées ou déplacées, qu’en est-il de
l’ensemble des réponses démographiques, notamment les mises en union, les remariages, la fécondité.
A moyen et long termes, y-a-t-il récupération ? Qu’en est-il des programmes de reconstruction ? Quels
retours permettent-ils et après quelle durée ? Les lieux d’habitat changent-ils ? Qui revient ? La persistance du traumatisme lié à la catastrophe vécue conduit-elle à des comportements démographiques
particuliers ? Les simples déplacements sont ainsi à distinguer des véritables migrations.
Il s’agira ici de voir comment changements démographiques et environnementaux interagissent,
quelles sont les marges de manoeuvres, les formes de résistance. Comment évolue la population
vulnérable aux catastrophes ? La prise en compte explicite de la variable temps est essentielle, de
manière à distinguer l’adaptation à court terme, dans l’urgence, de l’adaptation à moyen et long terme
et à pouvoir rendre compte des modalités de résilience.
Les canicules offrent un bon cas d’étude à tous ces égards. Objets de plus en plus médiatisés
depuis les épisodes survenus à Chicago en 1995 et en Europe en 2003, elles seraient de plus en plus
fréquentes et en tout cas sont en lien direct avec le réchauffement climatique. Elles tuent les plus
vulnérables, surtout les grands vieillards, dont le nombre va croissant. Elles se concentrent dans les
villes, elles-aussi en plein développement, en particulier dans les « îlots urbains de chaleur » où bâti
et pollution cumulent leurs effets. Elles s’observent désormais dans le monde entier. Des travaux prédisent de fortes mortalités dans le futur. Pour autant, d’autres études suggèrent que l’amélioration des
conditions de vie et de logement réduit la vulnérabilité à ce risque, de même que semblent se révéler
efficaces des programmes d’alerte et visites, et plus encore les interactions sociales et les solidarités.
La résistance séculaire des populations vivant dans les régions les plus chaudes (l’Andalousie par
exemple) ou les effets positifs du réchauffement réduisant la surmortalité hivernale classique des
plus vulnérables, pourraient aussi être pris en compte.
4. « Crise(s) migratoire(s) » : migrants et réfugiés
Les relations entre crises et migrations sont complexes et nombreuses. Les mouvements de population
s’effectuent parfois dans des contextes de crises d’ordre politique, économique, environnemental
ou social. Inversement, il arrive que ce soient les migrations elles-mêmes qui donnent lieu à des crises
ou du moins à la construction sociale ou politique de crises. Les deux situations surviennent également
parfois simultanément ou consécutivement. Par exemple, en 2015, les crises politiques et économiques qui sévissaient en Syrie, en Iraq, en Afghanistan, au Pakistan, en Érythrée et dans d’autres pays du Moyen-Orient et d’Afrique ont donné lieu à une migration vers certains pays adjacents aux zones en conflit (Jordanie, Liban et Turquie dans le cas des conflits syrien et irakien), ainsi que vers l’Europe. Ce mouvement de population a, à son tour, été qualifié de crise migratoire dans nombre d’états européens, pourtant bien moins touchés que les pays frontaliers mentionnés ci-dessus. Cela poussa plusieurs observateurs à considérer qu’il s’agissait plutôt d’une crise des politiques européennes et d’une crise humanitaire. Dans d’autres régions du monde d’autres crises migratoires ont suscité l’attention politique et médiatique : la migration de Centre-américains vers les États-Unis via le Mexique ; celle des Vénézuéliens vers les pays avoisinant d’Amérique latine ; celle des Rohingyas de la Birmanie vers le Bangladesh ; la migration de personnes fuyant l’insécurité et la violence dans certains pays d’Afrique subsaharienne vers les pays du Maghreb. Les crises servent de prétexte à des politiques d’urgence, souvent nourries par des amalgames entre immigration, terrorisme, perte d’identité, criminalité et menace sécuritaire.
Une autre lecture du mot crise associé aux mobilités humaines fait référence à une pénurie de
main d’oeuvre, appelée à être comblée par des migrants pouvant occuper des emplois vacants notamment dans les services, l’agriculture, l’hôtellerie et la restauration. Ces besoins en main d’oeuvre
bon marché donnent lieu à la création de programmes de travailleurs temporaires, voire à une
demande de travailleurs en situation irrégulière. En parallèle, s’installe une course aux migrants
très qualifiés dans certains secteurs d’emploi où la mondialisation du marché du travail est plus
avancée, par exemple ceux des technologies de l’information et de l’informatique, ou de la finance.
Dans ce contexte, les questions concernant la migration secondaire (au sein de l’UE ou du Canada
par exemple), la migration entre pays frontaliers, tout comme celles touchant à l’émigration et à la
fuite des cerveaux deviennent des enjeux à la fois scientifiques et politiques tant pour les pays du
nord que ceux du sud.
En cette période où les discours et l’information sur les migrations font régulièrement l’objet
d’instrumentalisation et de polarisation politiques, de médiatisation sensationnaliste, de recours
erronés aux données démographiques et de fausses nouvelles, la démographie doit jouer un rôle
fondamental. Grâce à ses approches méthodologiques et conceptuelles multidisciplinaire, cette discipline rend possible l’observation de flux migratoires contextualisés, et ce tant d’un point de vue
historique, politique, économique, social, culturel que statistique. Dans ce contexte, de nombreuses
questions surviennent.
Quel est l’impact démographique à moyen et long termes des migrations dues aux crises sur les
ensembles humains considérés et sur leur voisinage ? Dans les contextes où les données sont inexistantes, partielles ou peu fiables, quelles méthodes innovantes peuvent être déployées pour estimer les flux migratoires et leurs compositions dans des contextes de crises ? Que nous révèlent les théories
migratoires pour comprendre les crises migratoires historiques et récentes ? Quelle est la démographie
et la géographie des politiques de détention, de dispersion, de surveillance, de l’industrie du passage et
de la sécurisation ? Comment les analyses des trajectoires migratoires peuvent-elles avancer la compréhension des migrations ? Comment les territoires et les routes migratoires sont-ils reconfigurés par les différents acteurs, incluant les gouvernements nationaux et locaux, les organisations non gouvernementales, l’industrie du passage, les associations de migrants, et les citoyens ? Quel éclairage peut apporter la démographie à la compréhension de la construction politique et sociale des crises migratoires à travers le temps et les espaces géographiques ? Comment des réponses politiques telle une externalisation des frontières affectent-elles les flux migratoires (volume, direction, composition) ? Comment peut-on apprécier les capacités de résilience ou d’immobilisme des populations touchées par l’exode ?
En quoi les catégories de migrants et de flux sont-elles à la fois sources et bases de connaissances
mais également ornières et freins à des analyses probantes ? Quel rôle peut jouer l’immigration – et parfois l’émigration – dans les contextes de pénurie de main d’oeuvre ? En lien avec la section précédente de cet appel, quel est le rôle des facteurs environnementaux dans les crises migratoires ?
En ces temps où la question migratoire a un urgent besoin d’être éclairée par des analyses scientifiques,
les travaux de recherche sur ces questions apporteront des éléments nécessaires pour faire
avancer la connaissance et nourrir un débat de société plus serein.
5. Crises sans fin ?
Des ajustements structurels à la deuxième « Grande Dépression » : réponses démographiques des individus et des familles
5.1. Crises et paradoxes sur le continent africain et dans les sociétés du Sud
Les études démographiques menées en Afrique et dans d’autres sociétés du Sud attestent de transformations majeures qui se sont produites au cours des dernières décennies. On peut citer notamment l’augmentation de l’espérance de vie, les modifications des comportements de nuptialité et de fécondité, l’amélioration des niveaux de scolarisation (en particulier pour les filles), l’augmentation de la contribution des femmes à l’économie de marché, la modification des formes de travail des enfants. Ces changements participent d’une transformation profonde des relations intergénérationnelles
et des rapports de genre. De nouvelles pratiques familiales émergent dont certaines d’entre elles
paraissaient encore marginales en Afrique: monoparentalité féminine, mais plus encore masculine ;
regroupements résidentiels de personnes non apparentées ; unions non formalisées ; reconfiguration
des formes d’union polygamiques ; ruptures générationnelles (isolement des personnes âgées, jeunes
vivant sans aucun ascendant, etc.). Longtemps reléguée, l’Afrique est aujourd’hui présentée comme
dynamique, comme le continent de l’avenir. Mais son émergence tant souhaitée se fait assurément à
géométrie variable avec des reculs et des avancées qui peuvent parfois laisser perplexe.
L’ensemble de ces évolutions sociodémographiques sont d’autant plus remarquables qu’elles sont
littéralement encastrées dans des contextes sociopolitiques et économiques certes variés, mais tous
marqués par les crises. Depuis le milieu du 20e siècle, les pays du continent africain ont connu, à
des degrés variés, des crises économiques quasi structurelles. Pression démographique et pauvreté
participent des contextes dont ont émergé de nombreux soulèvements populaires ces 25 dernières
années (Mali, Burkina et ailleurs), ainsi que ce qu’il est convenu d’appeler le « Printemps arabe ».
S’y ajoutent de nombreux conflits armés, parfois extrêmement violents (Rwanda, Centrafrique,
Congo, RDC, Somalie, etc.) et l’insécurité qui caractérisent désormais de nombreux pays de la bande
soudano-sahélienne et au-delà.
Les flux de réfugiés en sont la conséquence la plus médiatisée, mais il faut sans cesse rappeler
que l’Afrique – et les autres grandes régions du Sud – en ont toujours accueilli bien plus que les pays
du Nord (voir la section 4 de cet appel). Les multiples mobilités internes et leurs conséquences, en
termes d’urbanisation, de marché du travail et de conditions de logement, appellent toujours de
nouvelles études. Le plus remarquable est sans doute constitué par les adaptations au quotidien aux
crises imbriquées et continues. Pour illustrer ces questionnements, on peut ainsi s’interroger sur
l’évolution des relations intergénérationnelles et conjugales. Typiquement, assiste-t-on à l’émergence
du couple égalitaire, dans lequel les conjoints seraient unis dans la recherche commune d’une solution
aux problèmes de survie ? Comment se transforment les manières de faire famille sous pression ?
Étudier les mécanismes par lesquels les crises, spécifiques ou imbriquées, interagissent avec les
logiques de comportements démographiques s’avère indispensable pour comprendre les sociétés
africaines en mutation, mais également celles d’autres continents qui ont connu, à des moments différents, des crises du même type. Les communications qui proposeront d’éclairer ces mécanismes
sont vivement attendues. Les comparaisons régionales (urbain - rural) ou internationales seront les
bienvenues.
5.2. La crise et les crises : vivre en crise avec la crise en Europe et dans les sociétés du Nord
Dix ans après le début de la crise économique et financière de 2008, le temps écoulé permet
d’appréhender ses conséquences et implications, les enjeux et les défis. Ce qui a souvent été qualifié
de deuxième «grande dépression » a eu surtout des effets sur les populations et familles en
déclenchant ou en aggravant d’autres crises ou situations de tension préexistantes dans des secteurs
très divers, comme le marché de l’emploi, le logement, la santé, etc. Avec des caractéristiques, des
modalités, des temporalités et des intensités variées, la crise a laissé des traces dans la population
et dans la dynamique et les comportements démographiques un peu partout en Europe, avec des
réponses et adaptations qui elles-aussi ont été diverses. Des reprises plus ou moins faciles et/ou
rapides sont observées dans certains pays, alors que dans d’autres les crises semblent sans fin. À ces
différentiations temporelles et spatiales, reflets des économies et des régimes de politiques sociales,
s’ajoutent nécessairement les différentiels internes selon le genre, la classe d’âge et les statuts socioéconomiques.
Nous appelons des communications sur cette diversité, considérant les impacts, les comportements,
les réponses, aux niveaux individuels, familiaux et collectifs (ces derniers incluant les
réactions politiques). Les données disponibles permettent aujourd’hui de tirer les premiers enseignements des conséquences de cette crise sur le statut socio-économique des individus et sur leurs
comportements démographiques et de vérifier dans quelle mesure les tendances qui prévalaient avant
la crise ont été altérées, engendrant sur certains indicateurs des effets « sans retour ». Au-delà des
impasses dans lesquelles ont pu se retrouver enfermées des sous-populations marginalisées, la crise
a-t-elle aussi provoqué l’apparition de voies alternatives, d’opportunités nouvelles (mariages, mobilités,
etc.) qui ont pu être saisies, et par qui ? Qu’en a-t-il été des réponses migratoires dans et aux
alentours immédiats de l’espace Schengen ? Comment s’est maintenue la haute fécondité de certains
pays alors que le manque et la précarité de l’emploi ont durement affecté les intentions reproductives
dans d’autres contextes ? Jusqu’à quel point la grande dépression et ses crises associées ont-elles
affecté les conditions de vie des ménages, altéré les modes et les parcours de vie des individus ?
Dans quelle mesure un ralentissement économique peut-il être associé à un report de l’union et de
la fécondité et à travers quels canaux (logement, travail, etc.) ? Comment évoluent les modalités et
les temps de la transition à l’âge adulte pendant et après une période d’incertitude ? Les systèmes de
protection sociale ont-ils pu jouer un rôle d’amortisseur ? De quelle manière les structures et l’entraide
familiales ont-elles été transformées ? Sur l’ensemble de ces questions – qui ne forment pas une liste
limitative – des études de cas, mais aussi des comparaisons, régionales et internationales, nourriront
la réflexion scientifique en révélant la diversité des situations.
6. Populations et démographes face à la pandémie de la Covid-19
Le thème du XXIe colloque international de l’AIDELF, «Démographie et crises», s’est révélé
prémonitoire. Nous avons fait l’expérience de la crise avec le report de cette rencontre de mai
2020 à 2021, puis 2022, en raison de la situation sanitaire. Profiter de ce délai pour lancer un appel
complémentaire à des communications sur la COVID-19 s’imposait. Les démographes ont bien évidemment beaucoup à dire sur cette maladie, comme l’ont montré les webinaires organisés par notre
Association en mai de cette année.
Dans tous les pays, la gestion de la crise a montré la nécessité et la difficulté de collecter des
données fiables, quasiment en direct. Des contributions sur les enjeux de méthodes sont attendues,
considérant les questions de fiabilité, de complétude et de comparabilité. Le dialogue entre démographie et épidémiologie mérite aussi d’être interrogé, en particulier les outils prédictifs de la diffusion du virus dans la population, des hospitalisations, de la mortalité. Les usages qui ont été faits
de chiffres souvent incertains pour justifier des choix politiques et sanitaires, pour conscientiser la
population, y compris en provoquant la peur, au risque de susciter des rejets, ou de renforcer l’âgisme
et le jeunisme, méritent aussi d’être analysés. Les conditions d’exercice de la science (des populations
dans notre cas) en situation de crise, les interactions entre les mondes de la recherche et les initiatives
citoyennes, appellent aussi la réflexion.
L’étude des inégalités, de genre, d’âge, de santé, de classes et de places, est un devoir contrarié
par l’incomplétude et l’incertitude des données. Ce qui s’est passé dans des maisons de retraite
qui se voulaient de plus en plus des lieux de vie et sont devenues des lieux de morts, appelle des
études spécifiques. Nous espérons que le colloque de l’AIDELF pourra susciter des collaborations
inter-régionales et internationales. Notre rencontre offre également l’opportunité de présenter les
nombreuses études, qualitatives ou quantitatives, qui se sont construites «en direct», notamment
pour identifier l’impact de la pandémie de la COVID-19 sur les soins (santé reproductive, maladies
chroniques, pathologies associées au stress, …), sur les mobilités et immobilités, sur les conditions
de vie et de logement, sur l’expérience du confinement et ses effets, positifs ou négatifs, sur les
relations familiales (redistribution des tâches domestiques et éducatives versus violences conjugales),
sur les relations intergénérationnelles (comme facteurs de soutien et facteurs de risque), sur la précarité
brutalement révélée de populations vulnérables, sur le rejet de l’autre mais aussi les réactions
de solidarité envers les étrangers, les sans-papiers, les demandeurs d’asile.
L’ Association Internationale des Démographes de Langue Française (AIDELF) a été créée en 1977. Elle regroupe des démographes et des spécialistes d’autres disciplines donnant une orientation démographique à leurs travaux, quelle que soit leur nationalité, à condition qu’ils soient en mesure
de s’exprimer en français.
L’AIDELF a pour objet
• l’étude des questions de population,
• la promotion de la démographie et de ses applications,
• la diffusion des connaissances en matière de population.
Elle a également pour but de promouvoir l’usage du français dans les réunions internationales et dans les publications.
Toute personne voulant devenir membre de l’Association doit s’inscrire en ligne sur le site de l’Association : www.aidelf.org
La cotisation annuelle est de 40 € (cotisation normale) ou de 20 € (cotisation
réduite, voir les conditions sur le site de l’association).
Pour tout renseignement concernant l’Association contacter
Michel Oris, Président de l’AIDELF
Sophie Pennec, Secrétaire générale et trésorière de l’AIDELF
Secrétariat de l’Aidelf :
Marthe Joubassi : (33) (0)1 56 06 20 58 – Télécopie : (33) (0)1 56 06 21 98
9, cours des Humanités - 93322 Aubervilliers Cedex
Courriel : aidelf@ined.fr – http://www.aidelf.org
COMITÉ D’ORGANISATION
Byron Kotzamanis, Marie Noëlle Duquenne, Dimitris Karkanis, Laboratoire
d’Analyses démographiques et Sociales (Lads), Université de Thessalie
Anastasia Kostaki, Département des Statistiques, Université d’économie et
d’affaires d’Athènes
Alexandra Tragaki, Département de Géographie, Harokopio Université
Christos Bagavos, Département de politique sociale, Panteion Université des
sciences politiques et sociales
Stamatina Kaklamani, Département de philosophie et d’études sociales, Université
de Crète
Sophie Pennec, Marthe Joubassi, Aidelf
COMITÉ SCIENTIFIQUE
Agnès Adjamagbo, IRD, Marseille, France
Danièle Belanger, Université Laval, Québec, Canada
Gervais Beninguisse, IFORD, Yaoundé, Cameroun
Christophe Bergouignan, Université de Bordeaux, France
Fabrice Cahen, INED, Paris, France
Maria Carella, Université de Bari, Italie
Byron Kotzamanis, Université de Volos, Grèce
Julián López Colás, Université Autonome de Barcelone, Espagne
Sophie Le Coeur, INED, Paris, France
Richard Marcoux, Université Laval, Québec, Canada
Michel Oris, Université de Genève, Suisse
Sophie Pennec, INED, Paris, France
Maria-Cristina Sousa Gomes, Université d’Aveiro, Portugal
Jacques Véron, INED, Paris, France
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