Archives, genre, sexualités, discours
Appel à articles
GLAD! Revue sur le genre, le langage et les sexualités
https://journals.openedition.org/glad/
#11 numéro thématique sur « »
À paraitre en décembre 2021
La question des archives, et des voix qu’elles font entendre, constitue un enjeu fondamental pour les luttes et les théories féministes. En effet, l’exclusion des femmes de l'espace public et des délibérations politiques ainsi que leur assignation à la sphère domestique et familiale sont allées de pair avec l’invisibilisation de leurs rôles politique et historique.
« Nous qui sommes sans passé, les femmes, nous qui n’avons pas d’histoire » chante l’Hymne des femmes : les mobilisations féministes des années 1970 contestent ensemble l’exclusion politique des femmes, la séparation public/privé et l’écriture de l’histoire. Dans le bouillonnement intense de ces années naissent des travaux pionniers en histoire des femmes, comme ceux de Michelle Perrot, qui cherche à faire « reculer le silence, parfois si intense, qu’on a pu se demander : “Une histoire des femmes est-elle possible ?” » (Perrot, 2001). Ces historien·ne·s mettent au jour les mécanismes d’invisibilisation et de réduction au silence des femmes au moment de la production et de la conservation des archives : « la manière dont les sources sont constituées intègre l’inégalité sexuelle et la marginalisation ou dévalorisation des activités féminines. Ce défaut d’enregistrement primaire est aggravé par un déficit de conservation des traces », que ce soit dans les archives publiques ou dans les archives privées conservées dans les grands dépôts publics, qui sont les archives des « grands hommes ». Et les archives familiales, les sources privées et l’écriture de l’intime, qui pourraient combler certaines de ces lacunes, ont longtemps été négligées par les historien·ne·s (Ibid.).
Le constat que les femmes ont été effacées de l’histoire a poussé, dès les années 1970, les militantes féministes à produire leurs propres traces pour garder la mémoire et écrire l’histoire de leurs luttes : elles filment leurs assemblées et leurs manifestations, photographient leurs compagnes de lutte, témoignent de leurs mobilisations et de leurs actions pour lutter contre leur invisibilisation, et écrivent l’histoire des féminismes (Pavard et al. 2020). Si le manque de temps, de lieux et de « réflexe archivistique » conduit de nombreux groupes militants à conserver très peu de traces de leurs activités, des associations et des collectifs féministes et/ou LGBTQI+ se sont engagés depuis plusieurs décennies dans un travail de collecte, de conservation et de valorisation des archives de leurs mouvements (l’association Archives du féminisme, les Archives Recherches et Cultures Lesbiennes, le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, le Collectif Archives LGBTQI, l’association Mémoires des Sexualités, etc.).
Ces initiatives sont souvent en lien avec le monde académique, où des spécialistes de l’histoire des femmes, des sexualités et des féminismes réalisent un important travail pour collecter des archives et les rendre accessibles aux chercheur·e·s, comme le fait notamment le Guide des sources de l’histoire du féminisme réalisé sous la direction de Christine Bard, Annie Metz et Valérie Neveu (2006). Comme en attestent plusieurs colloques (« Mémoires et transmission des archives lesbiennes et féministes » en 2016 à Paris, « Les féministes et leurs archives » en 2018 à Angers, « Archives du genre, genre des archives » à l’IMEC en 2019, « “Nos luttes changent la vie entière” : 50 ans de MLF » en 2020 à Toulouse, etc.) et programmes de recherche (par ex. le programme « Genre et transmission. Pour une autre archéologie du genre » à l’Université Paris Lumières de 2016 à 2019), les archives et le geste archivistique en eux-mêmes, interrogés au prisme du genre, font l’objet d’un intérêt scientifique important. Dans le cadre de ces manifestations scientifiques, on fait resurgir des archives, on exhume des fonds privés, on constitue de nouvelles archives (notamment via les témoignages oraux), on réexamine, dans une perspective féministe et/ou queer, certains fonds ou certains parcours de vie, et on élabore de nouvelles généalogies féministes et queer. Il ne s’agit plus seulement de retrouver des archives de femmes, mais d’interroger la constitution des archives par les pratiques institutionnelles et militantes, par le regard et le discours historiques, depuis une perspective critique sur le genre, les sexualités, la classe et la race.
Ce numéro thématique de GLAD! consacré aux archives s’inscrit dans ce contexte, et cherche à interroger et documenter plus particulièrement la construction discursive du genre dans et par les archives. L’idée sous-jacente est la suivante : l’archive ne saurait être considérée comme un médium transparent vers les hiérarchies de genre du passé. Au contraire, les archives contribuent à construire les réalités, passées et contemporaines, au fil de parcours discursifs complexes qu’il convient de regarder, d’interroger et d’interpréter.
Pour cela, la revue propose les pistes de réflexion suivantes (liste non exhaustive) :
1. Les archives et les discours du genre
1.1. Archives, discours et histoire
Après des travaux pionniers dans les années 1970/90, qui ont cherché à théoriser et expérimenter l’intrication des faits linguistiques et des faits historiques au sein des archives, Jacques Guilhaumou formule le concept d’« évènement discursif » en 2006. L’historien rappelle que l’évènement historique nous est transmis par le truchement du langage ou de l’archive. En cela, il est souvent un donné discursif dont on ne saurait ignorer l’essence langagière pour prétendre le comprendre. Selon Jacques Guilhaumou (2006 : 48), « la dimension historique du fait social relève en grande part de ses conditions langagières d’apparition sans s’y confondre ». Il n’y a pas d’un côté le discours, et de l’autre la réalité, dont le premier rendrait compte de manière plus ou moins fidèle, mais une intrication forte entre les
deux. Les évènements adviennent et sont appréhendés par les acteurices à partir de catégories,
de récits et de discours que les historien·ne·s étudient a posteriori dans les sources textuelles.
Ce constat est évidemment valable pour l’histoire du genre et des sexualités. Discours d’une époque sur elle-même, les archives incarnent un pan de la réalité qu’elles configurent et actualisent dans un mouvement performatif, et qu’elles construisent dans sa dimension prescriptive.
Et sans doute faut-il, pour les études de genre et sur les féminismes, postuler plus que jamais la consubstantialité des faits et des discours. Qu’est-ce que militer pour la cause féministe, si ce n’est déclarer, contester, argumenter, contredire, proposer, théoriser, délibérer… ? Le coeur même de ces activités est d’ordre discursif. Ce sont par les mots, les formules et les slogans que se discutent les catégories, les hiérarchies, que se façonnent les identités et que s’élaborent les programmes de luttes.
1.2. Matérialité des discours
Système de règles, de codes, de représentations, le genre signifie la bipartition inégalitaire et sexuée des sociétés. En cela il fonctionne comme une grammaire, comme un « langage du politique » (Scott 1988, Achin & Bargel 2013) pour imposer, légitimer et hiérarchiser les identités, les places et les relations des individu·e·s et des groupes. Sans prétendre que le système genré soit exclusivement représentations langagières, il faut toutefois admettre que l’ordre du discours est l’une de ses meilleures traces ou encore l’un de ses facteurs les plus efficaces : c’est dans le langage d’une époque que s’inscrivent les rapports sociaux de sexes, que sont réifiées les catégories, que se perpétuent les antagonismes (Riot-Sarcey 2000).
Prendre acte du rôle du langage dans la construction du genre et dans les luttes féministes conduit à dépasser le dualisme de la matière (historique, économique ou corporelle) et du discours, pour interroger leurs interactions et mettre en lumière les effets matériels des discours. Dans différentes disciplines, un nombre croissant de travaux féministes cherchent ainsi à articuler une approche matérialiste et une approche post-structuraliste et queer. La première est inspirée du matérialisme historique et explore les processus matériels et économiques qui structurent les rapports sociaux dans l’histoire ; la deuxième est inspirée du « tournant linguistique » et explore les processus discursifs de construction du genre. Les archives, en tant que discours matérialisés par excellence, radicalement dépendants de leur support, de leurs lieux et conditions de conservation, des pratiques sociales et institutionnelles et des processus idéologiques d’une époque, qui prennent sens dans et par le discours et l’interprétation historiques, permettent d’interroger l’intrication des dimensions matérielles et
discursives des rapports sociaux de genre, et de documenter la construction discursive du genre.
2. Comment constituer et traiter les archives ?
2.1. Discours de l’archive, discours sur l’archive
On pourra s’interroger sur la manière dont le discours historique produit le sens de l’archive, en fonction de parcours interprétatifs et herméneutiques. En ce sens, on n’épuise jamais vraiment une archive : on la relit toujours avec de nouvelles compétences interprétatives (et/ou techniques : quels sont les apports de la révolution numérique ? Jusqu'à quel point les archives sont-elles des technologies ?). À partir de là, en quoi une perspective féministe et/ou queer sur le genre permet-elle de modifier le regard sur certaines archives et de renouveler leur interprétation ? Dans quelle mesure permet-elle de relire certains parcours de vie comme des parcours queer, certains évènements comme des manifestations de sexisme ou de misogynie, certaines pratiques comme des résistances, certains travaux historiques comme des gestes d’invisibilisation ? Des relectures des chasses aux sorcières aux généalogies trans, de la mise au jour de l’agentivité des opprimé·e·s dans la lignée des Cultural Studies aux projets d’« herstory », de nombreuxses chercheur·e·s ont entrepris de faire parler les archives pour
lutter contre les silences de l’histoire. Ce numéro thématique de GLAD! sera l’occasion d’interroger ensemble les discours des archives et les discours sur les archives au prisme du genre, pour voir en quoi cela permet de revisiter de manière critique tout à la fois l’évidence et la permanence des catégories majoritaires contemporaines, et l’invisibilité ou le silence des catégories minoritaires.
2.2. Produire des archives
La question de la transmission, de la citation et des mémoires féministes entre également dans ce champ d’interrogation. Comment les féministes interagissent-ielles avec leur passé, avec leurs archives, avec les discours de luttes passées ? Comment s’articulent les usages profanes, les usages militants, les usages académiques des archives ? Comment les parcours individuels s’ancrent-ils dans des luttes collectives, comment le récit de soi s’articule-t-il au récit collectif ? Ce numéro vise aussi à documenter différentes démarches et différents dispositifs de production d’archives dans une perspective militante, queer et/ou féministe. On peut penser notamment aux démarches consistant à recueillir des témoignages et des récits de vie afin de conserver la voix et les traces de groupes sociaux marginalisés. L’oral history, qui s’appuie sur ce type de démarche pour donner la parole aux acteurices, s’est principalement
développée dans les pays anglophones : en France, l’effacement de l’historien·n·e, qui se
contenterait de « donner la parole », est considéré de manière plus critique (Descamps 2005).
En revanche, les sources orales ont progressivement gagné en légitimité depuis les années 1970/80, et la volonté de mettre à disposition des sources orales anime actuellement plusieurs projets (la commission audiovisuelle de l’association Archives du féminisme, le projet HERstory, etc.) qui réalisent des collectes de témoignages pour donner concrètement à entendre la multitude des voix qui font l’histoire des femmes et des luttes féministes.
Pour son numéro #11 (à paraitre en décembre 2021), la revue GLAD! invite des propositions
d’articles autour de ces questions, qui pourront proposer des réflexions épistémologiques et
théoriques générales aussi bien que des études de cas et des présentations de fonds d’archives
spécifiques interrogés au prisme du genre et du langage.
Bibliographie
Achin Catherine & Bargel Lucie, « “Montrez ce genre que je ne saurais voir”. Genre, sexualité
et institutions dans la présidentielle de 2012 », Genre, Sexualité et Société, Hors-série 2, 2013.
Bard Christine & al., Guide des sources de l’histoire du féminisme : de la Révolution française
à nos jours, Rennes, PUR, 2006.
Bard Christine & Sylvie Chaperon (dir.), Dictionnaire des féministes en France, XVIIIe-XXIe
siècles, PUF, 2017.
Bard Christine, Boivineau Pauline, Charpenel Marion, Grailles Bénédicte, Lasserre Audrey
(dir.), Les Féministes et leurs Archives, Rennes, PUR, 2021 (à paraitre).
Charpenel Marion, Le privé est politique ! Sociologie des mémoires féministes en France, Thèse
de doctorat réalisée sous la direction de Marie-Claire Lavabre à Sciences-Po Paris, 2014.
Descamps Florence, L’historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la
source orale à son exploitation. Paris, Institut de la gestion publique et du développement
économique, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005.
Guilhaumou Jacques, Discours et événement. L’histoire langagière des concepts, Besançon,
Presses universitaires de Franche-Comté, 2006.
Pavard Bibia, Rochefort Florence et Zancarini-Fournel Michelle, Ne nous libérez pas, on s'en
charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours, Paris, La Découverte, 2020.
Perrot Michelle, Les femmes ou Les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 2001.
Perrot Michelle, Mon histoire des femmes, Paris, Seuil, 2006.
Riot-Sarcey Michèle, « L’historiographie et le concept de genre », Revue d’histoire moderne et
contemporaine, 47/4, 2000, 805-814.
Scott Joan, « Genre : une catégorie utile d’analyse historique », Les Cahiers du Grif, 37/1, 1988,
125-153.
Calendrier
• Envoi des propositions (1 à 2 pages) : 1er février 2021
• Réponse du comité de rédaction : 22 février 2021
• Envoi des articles complets : 10 mai 2021
• Retours des évaluations : Août 2021
• Parution : Décembre 2021
Modalités de proposition d’articles
Publiée en ligne, en accès libre et sur un rythme semestriel, la revue GLAD! dispose de plusieurs
rubriques (Recherches, Explorations, Créations, Actualités, Chroniques) et accueille différents
formats numériques et différentes modalités d’expression scientifique, artistique et politique,
ainsi que des traductions. Plusieurs types de productions sont donc publiés par la revue :
• des articles scientifiques, évalués en double aveugle par des expert·e·s du domaine ;
• des notes de recherches (travaux en cours, carnets de terrain, états de l’art, etc.) ;
• des comptes rendus critiques ;
• des entretiens et débats ;
• des créations littéraires ou artistiques ;
• des textes politiques.
a) Articles scientifiques :
Les propositions d’articles scientifiques seront d’abord envoyées sous forme d’un résumé d’une
à deux pages (3 000 à 6 000 signes) à l’adresse revue.glad@gmail.com.
Le fichier contiendra :
• le titre envisagé
• le nom de l’auteurice ou des auteurices
• son/leur éventuel rattachement institutionnel
• l’adresse mail de l’auteurice responsable de la correspondance
• le résumé
• jusqu’à 6 références bibliographiques
• le type d’article envisagé : note de recherches ou compte-rendu critique (25 000 signes),
article standard (50 000 signes) ou article long (80 000 signes)
Les formats acceptés sont les suivants : .doc ; .docx ; .rtf ; .odt
Les contributeurices seront informé·e·s par mail de l’acceptation ou du refus de leur résumé par
le comité de rédaction en charge de la sélection.
Les articles scientifiques complets seront évalués en double aveugle par deux membres du
comité scientifique de la revue qui formuleront une recommandation ainsi que des
commentaires justifiant leur choix et, le cas échéant, des propositions de révisions de l’article.
Les relecteurices sont invité·e·s à formuler leurs évaluations de façon bienveillante et
constructive. La charte éthique à laquelle adhèrent les relecteurices est disponible à cette
adresse : https://journals.openedition.org/glad/79
Informations aux auteurices : https://journals.openedition.org/glad/1463
b) Contributions non scientifiques :
Les propositions de contributions non scientifiques (entretiens, débats, créations littéraires ou
artistiques, textes politiques, informations et actualités en genre et langage) sont à envoyer au
comité de rédaction (revue.glad@gmail.com) sous leur forme finale ou sous forme de
proposition.
Les propositions devront contenir :
• un titre
• un·e auteurice (individuel·le, collectif ou pseudonyme)
• une adresse mail de correspondance
• une description écrite d’une à deux pages de la contribution dans le cas de support non
écrit, spécifiant le format (image, vidéo, audio ou autre objet numérique) envisagé.
• une indication de la longueur envisagée dans le cas de contributions écrites
• une notice biographique ou explicative si les auteurices le souhaitent
Le comité de rédaction pourra formuler des orientations en lien avec la ligne éditoriale de la revue et sera responsable de l’acceptation ou du refus justifié des contributions, sur la base des orientations intellectuelles, politiques, scientifiques et artistiques de la revue.
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