samedi 30 mai 2020

Les remèdes à la passion amoureuse

Discite sanari. Les remèdes à la passion amoureuse de l’Antiquité au XVIIIe siècle

Appel à communications 

De Sappho à Proust, le motif de la maladie d’amour est probablement l’un des topoi les plus importants de la littérature occidentale et a fait l’objet de nombreux travaux spécifiques[i]. À l’occasion de ce colloque, nous souhaitons mettre en lumière un aspect de la topique bien moins étudié par la critique, celui des remèdes à l’amour tel qu’il est travaillé et traité dans les textes littéraires et scientifiques, de l’Antiquité à l’âge classique. Si l’étude du modèle antique des Remedia amoris d’Ovide et de ses différentes réélaborations postérieures pourra constituer un des axes de recherche, il s’agira également de s’intéresser, plus largement, aux prescriptions qui sont délivrées à l’amant pour soigner sa passion amoureuse tant dans la poésie érotique et la littérature amoureuse que dans les traités théoriques et scientifiques.

La question des remèdes à l’amour prend cependant relief sur fond d’une opinio communis inverse selon laquelle la passion amoureuse est précisément incurable. En creux se dessine alors une discussion sur la nature même de l’amour. L’amour, sentiment a priori naturel et spontané, peut-il faire l’objet d’une maîtrise ? Peut-on remédier de manière définitive aux souffrances de l’amour ? Soigner les douleurs amoureuses implique-t-il forcément de mettre fin au(x) sentiment(s), ou peut-on substituer à un érôs nocif d’autres visions, d’autres versions de l’amour, jugées positives ou curatives, se rapprochant davantage de ce qui relève de la philia ou de l’agapê grecques ?

Nous envisageons la notion de remèdes à l’amour dans une dynamique double et complémentaire : d’une part, en tant que moyens participant d’un art de la rupture (des recettes pharmaceutiques aux artifices psychologiques) visant à mettre fin au sentiment amoureux ; d’autre part, en tant que manières de remédier à une relation amoureuse défectueuse en rendant celle-ci saine et heureuse. Les deux visions convergent néanmoins et s’accordent à considérer la passion amoureuse comme un état pathologique source de douleurs, physiques ou psychologiques, auxquelles il convient de remédier. En quoi consistent alors les thérapies prescrites ? Quant à leurs auteurs, sont-ils médecins, poètes, philosophes ? Au nom de quel(s) savoir(s) ou de quelle(s) expérience(s) s’expriment-ils sur le sujet ? Quelles sont les modalités du traitement du motif selon la nature des discours et leurs influences mutuelles ? 


Axes thématiques

Les propositions de communication pourront s’inscrire dans un ou plusieurs axe(s) d’étude parmi les suivants :
Sources et réceptions du modèle ovidien des Remedia amoris

L’identification des sources probables, grecques comme latines, du poème ovidien et de ses intertextes pourra faire l’objet d’une étude. Se pose ainsi la question de savoir dans quelle tradition littéraire, scientifique ou philosophique le poète de Sulmone inscrit son traité. Il conviendra, par ailleurs, d’examiner la réception du poème ovidien de l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle, sur une période déterminée ou à travers l’exemple d’un cas particulier. Si la critique s’est principalement intéressée à la postérité de l’Ars amatoria dans la culture littéraire européenne, les Remedia amoris d’Ovide semblent également avoir suscité un intérêt et une attention peut-être même plus importante que le premier poème didactique, en particulier à l’époque médiévale[iii]. Pourquoi s’est-on alors intéressé au poème du medicus amoris ? Quelles sont les lectures qui ont été faites du texte ? Quelle autonomie accordent-elles en particulier aux Remèdes à l’amour par rapport à L’Art d’aimer ? En quoi a-t-on pu déceler une ambiguïté dans le propos des Remedia amoris, tantôt considérés comme prolongement, tantôt comme palinodie de l’Ars ? Quels sont les effets produits par les écarts et les reprises d’une réécriture par rapport au modèle original ovidien ? On envisagera également d’étudier les différentes traductions des Remedia amoris du Moyen-Âge à l’âge classique. 


Réflexions sur les remèdes amoureux et hybridations des discours et des disciplines

La question littéraire des remèdes amoureux s’inscrit dans une littérature essentiellement ouverte à d’autres domaines de réflexion. Se pencher sur le sentiment amoureux dans une perspective pratique, telle qu’Ovide a pu la mettre en forme, implique souvent une certaine hybridation générique ou disciplinaire. Le texte littéraire vient alors volontiers s’allier à des considérations philosophiques, éthiques, morales, sociales ou encore médicales et scientifiques, pour essayer de réfléchir à différentes manières de soigner ou maîtriser l’amour à l’aide de remèdes et de pratiques variés. Lucrèce comme Horace n'hésitent pas à tresser leur écriture poétique aux discours philosophiques, légaux et juridiques de leur temps[ii] ; les réflexions sur les codes amoureux médiévaux n’oublient pas de s’adapter à un contexte social particulier ; l’époque moderne n’est pas en reste avec ses réflexions érotiques autant littéraires que philosophiques et scientifiques. Il s’agira alors de s’intéresser à ces textes qui écrivent et réfléchissent à l’amour (pensons, par exemple, aux productions d’André le Chapelain ou de Marsile Ficin et à leur postérité) comme aux textes de la tradition antérotique (qui se développent en Italie et en France au XVe et XVIe siècles) dans cette perspective singulière des remèdes amoureux. Quelle place occupent-ils ? Comment sont-ils envisagés et construits dans une pratique d’hybridation des discours ? Ainsi, si le sentiment amoureux est un ressort littéraire traditionnel, il est aussi l’objet d’un questionnement qui se fait tout à la fois depuis l’espace littéraire et depuis une certaine idée de ce que doit, ou devrait être le réel. La question du remède amoureux pourra alors s’envisager depuis ce double espace littéraire et extra-littéraire, dans la mesure où ces réflexions peuvent relever à la fois d’un geste théorique et prescriptif.


La réflexion scientifique et médicale sur les traitements thérapeutiques de l’amour

Dans cette perspective, on s’interrogera sur la nature scientifique des remèdes amoureux en lien avec la culture et les discours médicaux de chaque époque. Chez les Anciens, le motif de l’élaboration depharmaka (qu’il s’agisse des remèdes pharmaceutiques, des prescriptions diététiques anaphrodisiaques ou des pratiques magiques) nourrit les discours littéraires qui traitent des moyens de guérir de l’amour. Dans les écrits médicaux autant que dans les textes littéraires, la question du traitement médical de pathologies amoureuses n’est pas moins absente des préoccupations modernes (pensons aux réflexions scientifiques sur les cas de mélancolie et d’érotomanie telles qu’on les trouve, par exemple, dans le texte de Jacques Ferrand, Traicté de l'Essence et Guérison de l'Amour ou de la Mélancholie Érotique, publié en 1610). Quelles sont alors les influences mutuelles entre discours littéraires et médicaux sur la question des remèdes amoureux ? Quelle est la nature scientifique des prescriptions thérapeutiques données ? Que disent les remèdes de ce qu’est la science médicale elle-même et des représentations collectives sur certaines formes d’amour ?

Enjeux didactiques et génériques

A l’aune de ces remarques, il semble alors judicieux d’interroger également cette littérature dans sa dimension didactique. Ces textes posent la question centrale de la possibilité même d’un remède au sentiment amoureux. Il s’agira alors de voir comment cette problématique est traitée et appréhendée dans nos textes. Leur discours est-il toujours clairement prescriptif et limpide ? Le texte est-il une « recette » ou le remède lui-même ? Comment se construit l’efficacité de ces textes ? L’analyse du fonctionnement curatif (ou non) de ces textes s’attachera alors également au sujet de la valeur de l’œuvre (et de son remède) et à celui de leur place dans le canon littéraire des époques concernées, de l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle.

Ainsi surgit également une autre manière d’appréhender le sujet en envisageant la ou les traditions littéraires qui s’intéressent ou participent totalement à la réflexion d’une médecine érotico-amoureuse. La postérité du texte ovidien constituera un axe évident de cette réflexion, mais plus largement, il s’agirait également de voir comment des traditions littéraires se forment autour de cette question, s’y tressent, et participent à la formation d’un corpus amoureux singulier. Ainsi, analyser la tradition philosophico-littéraire des trattati d’amore importés d’Italie en France à la Renaissance à la lumière de cette réflexion ainsi que leur importance pour la littérature en France à cette époque pourrait être fertile, tout comme cela serait le cas pour la production des moralistes du XVIIe siècle ou des philosophes comme des libertins du XVIIIe siècle. L’objectif serait de rendre compte de mécanismes de créations de veine(s) littéraire(s) de ces réflexions amoureuses, littéraires et pragmatiques.


Modalités de proposition

Les propositions (titre et résumé de 400 mots maximum) peuvent-être envoyées aux organisateurs
jusqu’au 31 octobre 2020

aux adresses suivantes : gautier.amiel@yahoo.fr, adelinelionetto@hotmail.com, dimitri.meziere@gmail.com

Les communications du colloque pourront être présentées en anglais, en français, ou en italien.

Comité d’organisation
Gautier Amiel (Sorbonne Université)
Adeline Lionetto (Sorbonne Université) 
Dimitri Mézière (Sorbonne Université)
Comité scientifique
Dominique Brancher (Université de Bâle)
Hélène Casanova-Robin (Sorbonne Université)
Michèle Gally (Aix-Marseille Université)
Stéphanie Loubère (Sorbonne Université)
Jean-Charles Monferran (Sorbonne Université)

Références

[i] Voir en particulier M. Ciavolella, La “malattia d’amore” dall’Antichità al Medioevo, Bulzoni, Rome, 1976

[ii] Voir pour cela le récent ouvrage de Bénédicte Delignon, La Morale de l’amour dans les Odes d’Horace, PUPS, Paris, 2019.

[iii] Voir sur ce point, S. Viarre, La survie d’Ovide dans la littérature scientifique des XIIe et XIIIe siècles, Publications du C.E.S.C.M., Poitiers, 1966, p.131 sq.

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