Le dégoût : vécu, perception, représentations et histoire
Appel à contributions
Séminaire interdisciplinaire de jeunes chercheurs de l'université d'Aix-Marseille
Aix-Marseille Université
Label Initiative Jeunes Chercheurs CRISIS
Maison de la Recherche, Salle 2.44, le mercredi de 14 à 16h
Argumentaire
Un enjeu de société
« Dans la tradition esthétique, le dégoût reste compris comme le négatif du goût. Il désigne ce que le goût condamne » écrit Claire Margat dans son article « Phénoménologie du dégoût »[1]. Le dégoût se définit-il seulement par rapport au goût ? Ne serait-il pas aussi une réaction vive déclenchée par une perception sensorielle ou un jugement moral préétabli en chacun de nous et / ou dépendant d’une subjectivité ?
Les cadavres en décomposition, la nourriture avariée, la torture, la débauche, la difformité, la laideur, le vice, l’immoralité, en somme tout ce qui est source d’un sentiment de répulsion, d’aversion ou d’abjection est communément identifié à la notion, plurielle, de dégoût, que l’on abordera dans ses trois manifestations : physique, morale et esthétique. Le dégoût est en effet avant tout une réaction physique qui naît de la perception de l’abject. Il peut aussi être envisagé comme un sentiment suscité par des pratiques jugées condamnables d’un point de vue moral, social ou religieux et dont on est le témoin, la victime ou l’acteur. Le dégoût peut enfin être de nature esthétique, voire en constituer une fonction, provoqué par tout élément transgressif qui s’écarte d’une norme imposée par le bon goût ; norme qui varie au fil des cultures et des époques. Or, ce qui est objet de dégoût est spontanément mis à l’écart, repoussé parce que repoussant, et dans ce cas comment problématiser le dégoût ? Peut-on penser le dégoût ? Quelles fonctions critiques occupe-t-il dans nos conceptions et représentations du monde ?
Une période d’étude
C’est à la période moderne que nous voudrions circonscrire l’étude de cette notion plurielle et protéiforme. En effet, le développement, avec le courant humaniste, de traités de civilité, l’essor du processus de civilisation décrit par N. Elias puis au XVIIIe, l’invention du goût au sens subjectif, théorisé notamment par Kant dans la Critique de la faculté de juger, posent quelques jalons d’une approche diachronique de la notion de dégoût. Ainsi la période moderne illustre un certain nombre des mutations dans l’appréhension du dégoût. Cette période sera donc au cœur de nos réflexions. Pour autant, d’autres périodes pourront être abordées pour inscrire le dégoût dans une perspective diachronique plus large.
Une approche interdisciplinaire de la notion
S’il est impératif d’historiciser l’approche de cette notion, il est également nécessaire d’en confronter les points de vue en associant les apports de plusieurs disciplines : l’histoire (histoire des mentalités, des émotions, des sens, etc.), la philosophie (esthétique, philosophie de la perception) ou encore l’anthropologie. De même, les enjeux de sa représentation en art et en littérature – française et internationale – soulèvent des questions d’ordre esthétique et rhétorique qu’il serait intéressant d’étudier. La confrontation des différentes approches de la notion permettra de voir comment elles se combinent, s’opposent ou se complètent en élargissant nos champs de réflexion.
Le séminaire de recherche
Nous voudrions donc interroger la notion de dégoût dans le cadre d’un séminaire interdisciplinaire de recherche. A chaque séance, un chercheur et deux doctorants interviendront sur un sujet en lien avec la thématique et proposeront en amont de la séance un support de réflexion (texte, image, etc.) pour permettre à tous les participants de prendre part à l’échange et de l’enrichir de leurs propres questionnements ou expériences de recherche.
Les trois axes suivants pourront orienter le thème de votre communication :
- Le dégoût et ses objets : comment se définit le dégoût et quels sont ses objets ? comment se distingue-t-il d’autres notions (indignation, antipathie, détestation, etc.) ?
- De la perception à la représentation : comment est éprouvé, exprimé et représenté le dégoût ?
- Dégoût, société et politique : comment le dégoût s’inscrit-il dans le champ social ? comment fait-il l’objet de politiques et de pratiques particulières ?
Thèmes suggérés : Le corps (le gras, la difformité, la pilosité, la sexualité, les cadavres, les maladies, les fluides corporels, la torture), la nourriture (nourriture avariée, tabous alimentaires, abats), les lieux (abattoir, cimetière, lieux d’aisance, égouts, marécages), les profils sociaux (prostituées, ouvriers, vagabonds, fous…), les croyances (religions, superstitions), les animaux (charognards, animaux errants, nuisibles), le déchet, objets moraux (le vice, le péché, le pouvoir, l’inceste, paraphilie).
Modalités de soumission
Les propositions comporteront un titre, un résumé d’environ 500 mots, ainsi qu’une brève présentation de l’auteur (nom, rattachement administratif, unité de recherche), et devront être envoyées à : sjc.degout@gmail.com jusqu'à un mois avant la date de la séance dudit séminaire.
Ce séminaire débouchera sur une journée d'étude le 22 mai 2019, pour laquelle il est également possible de nous faire parvenir vos propositions.
Les doctorants prendront la parole une vingtaine de minutes et proposeront un support à leur réflexion (texte, image, etc.) qu’ils auront préalablement communiqué aux organisateurs du séminaire, afin que les participants puissent en prendre connaissance en amont et prendre part à une discussion le jour de l’intervention.
Les séminaires se dérouleront à la Maison de la Recherche d’Aix-en-Provence, située au 29 avenue Robert Schuman - 13621 Aix-en-Provence.
Les éventuels frais de transport et d’hébergement restent à la charge des participants ou de leur institution de rattachement.
Dates
10 octobre 2018 : Giuseppe di Liberti, MCF - CGGG, (philosophie esthétique XVIIIe siècle)
07 novembre 2018 : Pascal Taranto, PR - CGGG, (philosophie XVIe siècle)
05 décembre 2018 : Jean-Louis Claret, MCF-HDR - LERMA, (théâtre élisabéthain)
30 janvier 2019 : Mathilde Thorel, MCF - LPL (stylistique & rhétorique XVIe-XVIIe siècles)
06 mars 2019 : Anne Carol, PR - TELEMMe, (histoire du corps, XIXe siècle)
Comité d’organisation
Laura Bordes (CIELAM)
Aurore Guitry (Pratique et théorie de la création artistique et littéraire)
Pierre Léger (CGGG)
Mathilde Mougin (CIELAM/TELEMMe)
Emmanuel Porte (TELEMMe)
Bibliographie indicative
- Ancet, Pierre, Phénoménologie des corps monstrueux, Paris, PUF, 2006.
- Auzepy, Marie-France, Cornette Joël, Histoire du poil, Paris, Belin, 2011.
- Barbafieri, C., Abramovici, J.-C. (éd.), L’Invention du mauvais goût à l’âge classique (XVIIe-XVIIIe siècle), Louvain-Paris-Walpole, Peeters, 2013.
- Barles, Sabine, La ville délétère, médecins et ingénieurs dans l’espace urbain (XVIIIe-XXe siècle), Paris, Champs Vallon, 1999.
- Carol, Anne, Renaudet, Isabelle, La Mort à l’œuvre. Usages et représentations du cadavre dans l’art, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2013.
- Chevalier, Louis, Classes laborieuses, classes dangereuses à Paris pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, Paris, Perrin, 2007.
- Corbin, Alain, Le miasme et la jonquille, l’odorat et l’imaginaire social, XVIIIe-XIXe siècles, Paris, Aubier, 1982.
- , Les filles de noce. Misère sexuelle et prostitution au XIXe siècle, Paris, Aubier, 1978.
- Colas Duflo, « Le système du dégoût. Diderot critique de Boucher », in Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, n° 29, octobre 2000, p. 85-101.
- Delville, Michel, Norris, Andrew, von Hoffmann, Victoria (dir.), Le dégoût : histoire, langage, esthétique et politique d'une émotion plurielle, Liège, Presses universitaires de Liège, « Cultures sensibles », 2016.
- Douglas, Mary, De la souillure, essai sur les notions de pollution et de tabous, Paris, Maspero, 1971.
- Eco, Umberto, Histoire de la laideur, Paris, Flammarion, 1997.
- Ferrière, Madeleine, Nourritures canailles, Paris, Seuil, 2007.
- , Histoire des peurs alimentaires, du Moyen Age à l’aube du XXe siècle, Paris, Seuil, 2002.
- Geremek, Bronislaw, Les marginaux parisien aux XIVe et XVe siècles, Paris, Flammarion, 1976.
- Kalifa, Dominique, Les bas-fonds, histoire d’un imaginaire, Paris, Seuil, 2013.
- Kant, Emmanuel, Critique de la faculté de juger, Paris, Gallimard, Folio Essai, 1989.
- Kolnai Aurel, Le Dégoût, Paris, Agalma, 1997.
- Kristeva, Julia, Pouvoir de l’horreur, Paris, Seuil, Points Essais, 1983.
- Leplâtre, Olivier, Un goût à la voir nonpareil. Manger les images, essais d'iconophagie, Kimé, 2018.
- Le Roux, Thomas, Le laboratoire des pollutions industrielles, Paris, 1770-1830, Paris, Albin Michel, 2011.
- Margat, Claire, « Phénoménologie du dégoût. Inventaire des définitions », Ethnologie française, vol. 41, no. 1, 2011, pp. 17-25.
- Quignard, Pascal, Sexe et effroi, Paris, Gallimard, 1997.
- Rosenkranz Karl, Esthétique du laid, Paris, Circé, 2004.
- Sartre Jean-Paul, Esquisse d’une théorie des émotions, Paris, Hermann, 1965.
- Vigarello, Georges, Les métamorphoses du gras, histoire de l’obésité du Moyen Age au XXe siècle, Paris, Seuil, 2010.
- Vigarelllo, Georges, Corbin, Alain, Courtine, Jean-Jacques (coll.), Histoire des émotions. De l’Antiquité aux Lumières, Paris, Seuil, 2016.
-, Histoire des émotions. Des Lumières à la fin du XIXe siècle, Paris, Seuil, 2016.
-, Histoire des émotions. De la fin du XIXe à nos jours, Paris, Seuil, 20
[1] Margat, Claire. « Phénoménologie du dégoût. Inventaire des définitions », Ethnologie française, vol. 41, no. 1, 2011, pp. 17-25.
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