Panel conjoint SCHM-SHC
Organisé par Alexandre Klein (Université Laval)
Université de Regina
Lundi 28 mai 2018, 13h30-15h.
Le mouvement de
désinstitutionnalisation qui toucha l’ensemble du Canada au cours des années
1960 visait à faire sortir les malades mentaux des asiles et à instaurer une
prise en charge sociale et communautaire de la maladie mentale. Ce processus
législatif, pratique et idéologique majeur dans l’histoire des soins de santé mentale
a fait l’objet, au cours des dernières années, d’un intérêt nouveau de la part
des historien(ne)s. Constatant dans leur majorité l’absence de réelle
désinstitutionnalisation, ils-elles ont chacun(e) à leur manière, dans les
différentes provinces canadiennes, retracer un mouvement de déshospitalisation,
autrement de sortie de l’hôpital des patients, qui ne rimait pas nécessairement
avec la fin de l’institutionnalisation. Bien au contraire, les ex-psychiatrisé(e)s,
une fois sorti(e)s des asiles se retrouvaient souvent en errance entre de
multiples institutions de soins qui loin de favoriser leur réinsertion sociale
conduisaient souvent à une psychiatrisation accentuée de leur existence.
Ce panel, bilingue, entend
revenir sur ces travaux récents étudiant la désinstitutionnalisation
psychiatrique au Québec, en Ontario et en Saskatchewan afin d’interroger le
renouveau du travail historien engagé par ces chantiers. Pour cerner l’histoire
complexe et contrariée de ce mouvement, il convenait en effet de s’éloigner des
archives institutionnelles ou scientifiques habituelles pour établir des ponts
documentaires comme relationnels entre les hôpitaux et les communautés ainsi
qu’entre les différents acteurs (médecins, infirmières, travailleurs sociaux,
administrateurs, psychologues, etc.) des soins de santé mentale. Grâce à des
collaborations interdisciplinaires ou à l’usage de concepts et d’approches
issues d’autres disciplines, les historien(ne)s ont pu mettre à jour les
phénomènes de déshospitalisation et de transinstitutionnalisation qui se
cachaient derrière le drapeau de la désinstitutionnalisation agité par les
législateurs et les politiques. À partir du récit, réflexif, des démarches
méthodologiques mises en place pour aborder leur objet, les historien(ne)s de
ce panel entendent participer à une réflexion plus vaste sur l’écriture
contemporaine de l’histoire, notamment de la psychiatrie, et sur les apports
des autres disciplines au renouveau de l’historiographie.
Présidence : Susan Lamb
Suivre le processus de
désinstitutionnalisation psychiatrique québécois sur la longue durée. Un
historien et une sociologue à l’Hôpital des Laurentides.
Alexandre Klein
(Université Laval)
On connait assez peu de choses sur le déroulement du processus de
désinstitutionnalisation psychiatrique au Québec après la tenue, en 1961, de la
commission Bédard qui engagea sa mise en place dans l’ensemble de la province.
L’histoire de cette politique de santé mentale reste en effet trop souvent
associée au récit héroïque de son instauration ou à son seul volet législatif. C’est
pour combler ce manque que nous avons choisi, avec la sociologue Laurie Kirouac,
de nous pencher en 2016, dans le cadre de la préparation d’un collectif sur
l’histoire de la désinstitutionnalisation dans le monde psychiatrique francophone,
sur l’histoire de l’Hôpital des Laurentides. Nous souhaitions en effet
retracer, dans cet hôpital choisi, dès 1962, comme un lieu d’expérimentation de
la sectorisation psychiatrique par le gouvernement Lesage, l’installation puis
le développement de cette nouvelle politique de santé mentale.
Si notre association disciplinaire, entre histoire et sociologie, visait
tout d’abord à permettre une étude sur la longue durée, soit entre 1960 et
2012, nous constatâmes rapidement qu’elle assurait surtout l’écriture d’une
autre histoire de la désinstitutionnalisation psychiatrique dans cette
institution. En effet, le peu de sources historiques disponibles se contentait
de répéter le tableau idyllique d’un centre psychiatrique avant-gardiste et
choyé. Or, le réexamen de verbatims d’entrevues réalisées entre 2010 et 2013
avec des personnels soignants de l’établissement en poste entre les années 1970
et 2000 nous offrit une tout autre vision des événements. Au-delà des espoirs
et des ambitions affichés dans les années 1960, cette plongée historique dans
la réalité de terrain de l’hôpital nous dévoilait surtout les difficultés
inhérentes à la mise en place de cette désinstitutionnalisation, et révélait
finalement les échecs d’une politique publique sous-financée et parfois incohérente
avec les enjeux locaux. Ainsi, la
mutualisation des approches historique et sociologique nous a permis de dresser
un portrait plus complet et plus complexe du devenir de la politique de
désinstitutionnalisation psychiatrique au Québec depuis son implantation. C’est sur cette expérience
d’interdisciplinarité que je souhaiterais revenir dans cette présentation, afin
d’en préciser les apports pour le travail de l’historien et d’en analyser les
conséquences pour l’historiographie de la psychiatrie québécoise.
Diversity and Deinstitutionalisation:
Doing History in Healthcare teams
Erika Dyck
(University of Saskatchewan)
Mental health care shifted significantly in the
second half of the 20th century.
It transformed from a system of custodial care to outpatient and
community-based services. The process
that came to be known as deinstitutionalization, or the closing down of large
psychiatric hospitals, occurred differently across the country. It also transferred the focus of care away
from hospitals and into diverse settings relying more on primary care teams and
community services to fill gaps in care needs. Transferring people into a
system of care in the community also revealed many non-medical factors required
in mental health care. Tracing this historical shift in defining and designing
mental health care in Canada engages historians in a study of diverse networks
of care. In this presentation I explain how we created a team-based approach to
researching and writing about deinstitutionalization in Canada. Our co-produced book emulates some of the
tensions, challenges, as well as the benefits of working together with diverse
perspectives to solve complex problems. Our team congealed around the central
idea that mental illness and poverty are intrinsically linked, and then we drew
from our differences in experience, skill, and training to articulate a
historical narrative that wove together input from ex-patients, psychiatrists,
administrators, trainees, psychologists, and historians, sharing authorship.
« Imaginaire et sensibilités »
La mise en récit de la déshospitalisation
psychiatrique en Ontario
Marie-Claude Thifault
(Université d’Ottawa)
La perspective des parcours de vie, souvent
présentée comme une théorie par les professionnels de la santé, a été utilisée,
entre autres, dans le cadre du collectif La
fin de l’asile ? (PUR) pour rendre compte de trajectoires de vie atypiques
ayant comme moments décisifs des espaces temps caractérisés par des crises
familiales, de grandes désorganisations, des tentatives de suicides ou de
profondes dépressions qui nécessitent un arrêt d’agir… une hospitalisation en
milieu psychiatrique.
Afin d’illustrer les parcours transintitutionnels
des patients psychiatres de la capitale nationale, nous avons mis en récit
plusieurs décennies de suivis psychiatriques. Plutôt que de restreindre notre
analyse à des comportements associés à un diagnostic et de décortiquer un
épisode psychiatrique en particulier, nous avons documenté la récurrence des
troubles psychiques et leurs conséquences.
La mise en récit des parcours de vie psychiatriques est originale et inédite
pour comprendre l’impact de la maladie mentale de type chronique sur la vie des
personnes touchées et sur leurs proches. Cette approche, influencée par les
travaux de Corbin, a le souci de percer « le secret des comportements de
ceux qui nous ont précédés, au croisement des émotions et des représentations,
de l’imaginaire et des sensibilités » (Demartini et Kalifa : 2005).
Des centaines de pages de dossiers, surtout des
notes d’observations nursing et d’évaluation psychiatrique, ont été consultées
pour documenter un parcours de vie psychiatrique présenté dans La fin de l’asile ? À partir de
cette source, pour révéler la trajectoire et les points tournants dans la vie
d’une femme qui a fréquenté le programme de santé mentale de l’Hôpital Montfort
pendant une vingtaine années, nous avons dû nous en remettre aux observations
et aux mots des autres (infirmières, psychiatres, travailleuses sociales), lire
entre les lignes et être sensibles aux silences (Bourgault : 2015). Nul
doute, notre enquête est rigoureuse et construite sur des faits. Toutefois,
l’historienne est-elle libre ou non dans la mise en forme du récit ?
Quelle valeur scientifique accorde-t-on aux textes qui s’éloignent des cadres
habituels, des formes traditionnelles et quelle place l’historiographie
accorde-t-elle aux trames narratives ou aux écritures créatives ?
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