dimanche 22 mars 2015

Pour une anthropologie historique de la nature

Pour une anthropologie historique de la nature


Appel à communications


Les travaux sur l’histoire de l’environnement ou l’anthropologie de la nature sont aujourd’hui très nombreux. Des études sur les risques naturels aux analyses des ontologies anthropologiques, en passant par les relations entre l’homme et la nature, les recherches se sont accumulées qui ont permis aux sciences humaines et sociales d’intégrer à leurs problématiques la question de l’environnement. Il reste cependant à conjuguer les approches anthropologiques (qui visent à comprendre les fondements des liens et des arrangements entre les sociétés humaines et la nature) et les approches historiques (qui cherchent à saisir les formes historiquement constituées de ces mêmes arrangements). 

Argumentaire
L’anthropologie historique constitue, depuis le milieu des années 1970, l’un des secteurs de recherche les plus dynamiques de la discipline histoire. D’abord centrée sur les périodes médiévale (dans le sillage de Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt) et antique (à la suite de Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet), cette réorganisation des problématiques au prisme d’une ethnologie du passé s’est ensuite étendue à toutes les périodes. Les manières de faire, les façons de manger, les modes de gouvernement, les rituels religieux et politiques ont fait l’objet d’analyses serrées et de comparaisons fructueuses. Parallèlement, l’anthropologie, après une période post-structuraliste dans laquelle la fragmentation en terrains disjoints a pris le pas sur les recherches à visée plus globale, s’est –en partie- réorganisée autour des questions d’arrangements entre nature et culture. Le livre de Philippe Descola, Par delà nature et culture, paru en 2005, constitue une sorte de marqueur historiographique puissant de cette reconfiguration des questionnements.

En proposant ce colloque, qui fait suite à la journée d’études sur le même thème organisée à l’Université de Poitiers le 9 juin 2014, nous voudrions pointer les zones d’ombre, les espaces interstitiels entre ces grands domaines de recherche. D'une part en effet, si les travaux ne manquent pas sur l’histoire de la nature, l’histoire des animaux ou l’histoire de l’environnement, les investigations nous semblent moins nombreuses sur les implications proprement anthropologiques du rapport de l’homme à la nature. Les recherches anthropologiques, quant à elles, supposent une chronologie relativement plane qui voit tout l’Occident ramené, depuis l’époque moderne, au principe d’une ontologie naturaliste faisant de la césure entre l’homme et son environnement le point de rupture essentiel. Il y a, dans l’entre-deux de ces questionnements, matière à approfondir les thématiques, à redéployer des chronotopes plus amples, à diversifier les angles de vue.

Nous avons regroupé l’ensemble des questionnements que peut recouvrir le syntagme « Anthropologie historique de la nature ». Il s’agit moins d’arrêter des catégories ou de fixer une fois pour toutes les termes du débat, que de tendre quelques lignes de force et de signaler des pistes potentiellement productives pour l’analyse. Les recoupements, les croisements et les échanges entre les thématiques font partie intégrante du projet de colloque, leur détail constitue une manière d’organiser la problématique générale.

Nous envisageons tout d’abord de nous interroger sur ce qu’on pourrait appeler l’Autre nature. En prenant pour point de repère le rapport contemporain de l’Occident à la nature, on manque, nous semble-t-il, toute une série de représentations et de pratiques du monde naturel. D’abord, le pluralisme géographique et anthropologique des appréciations de la nature (et de ses usages) fournit une sorte de recadrage permettant de placer la vision occidentale (qui est la nôtre) dans l’ordre plus vaste des représentations de la nature. Ensuite, l’histoire (qu’elle soit ou non occidentale) montre que le naturalisme (i.e. la séparation nature/culture comme grand principe de représentation ontologique) n’a rien d’une constance et que d’autres coupures, d’autres agencements ont conditionné l’évolution des populations humaines.

Si la nature peut s’enraciner dans l’ordre politique, c’est qu’elle partage avec lui un idéal symbolique et une puissance de ritualisation commune. En effet, le tissage (complexe, multiple) entre l’homme et la nature n’a cessé d’être opéré par des rituels, des pratiques symboliques, des expériences sacrées qui sont autant d’instances de médiation. Dans ces exercices de l’entre-deux se construisent des langages, des réseaux de signes, des représentations qui à chaque fois produisent des effets sensibles sur l’homme lui même et ses relations à la nature. Quelles sont les grandes formes de ces intercessions ritualisées ? Peut-on repérer, jusque dans l’histoire la plus ancienne, des appuis communs pour construire une grammaire du symbolique rendant compte du rapport de l’homme à la nature ? En poursuivant ce raisonnement sur les espaces dialogiques, on croise inévitablement la question de la relation aux existants, d’une nature toujours située. C’est probablement le territoire le moins familier des historiens et le plus commun des anthropologues que nous abordons dans cette thématique. L’écart entre les deux disciplines (que nous tenterons de réduire lors du colloque) vient du fait que l’anthropologue saisit une nature sur le vif, instanciée par des types de relations et des codages mis en pratique devant lui. L’historien contemple une nature toujours réifiée par l’archive. La relations aux existants lui est présentée à travers une série de procédures scripturaires (ou iconographiques) qui toutes s’imposent avec leurs généalogies plus ou moins lointaines. Nous voudrions ici renouer un dialogue sur la question de la nature située.

La thématique de la nature disruptive offre une zone de dialogue relativement intense. Si toutes les procédures de ritualisation ou de circonscription politique visent à mettre la nature en société, il arrive qu’inévitablement le « désordre » naturel viennent perturber les agencements humains : l’attention contemporaine au risque, les traditions anciennes du récit épique des catastrophes ou la thématique très aristotélicienne de la crise, nous permettent d’envisager une série de questionnements convergents sur les sutures approximatives entre les représentations de la nature et ces débordements imprévus.

Enfin la place des politiques de la nature sera le centre d’une proposition de débat entre historiens, anthropologues, sociologues et philosophes. Le danger d’une Terre malmenée par les activités humaines détruisant une grande partie des ressources naturelles ne cesse de s’imposer dans l’horizon politique contemporain. Mais que signifie concrètement cette politisation de la nature ? Est ce qu’il s’agit, comme le suggère Bruno Latour, de composer avec des porte-paroles de la nature dans des assemblées hybrides ? Ou bien, comme l’envisage Razmig Keucheyan, est-il encore question d’une dépendance capitaliste aux matières premières extraites, sans réflexions aucunes, pour les seuls intérêts du profit immédiat ? L’ancrage historique de ces questions et la diversité des réponses adoptées depuis l’émergence de la modernité industrielle (jusque et y compris dans la révolte contre les machines) incitent à reconsidérer une politique de la nature dans le long terme.

Le colloque donnera lieu à une publication collective qui sera proposée aux Presses Universitaires de Rennes. La collection « Histoire », en particulier, accueille des ouvrages ancrés dans la discipline histoire mais très largement ouverts vers d’autres disciplines, comme l’anthropologie. L’organisation du colloque en quatre thématiques (l’Autre nature, politiques de la nature, symbolisme et nature disruptive) permet d’envisager le découpage futur de l’ouvrage.

Les travaux sur l’histoire de l’environnement ou l’anthropologie de la nature sont aujourd’hui très nombreux. Des études sur les risques naturels aux analyses des ontologies anthropologiques, en passant par les relations entre l’homme et la nature, les recherches se sont accumulées qui ont permis aux sciences humaines et sociales d’intégrer à leurs problématiques la question de l’environnement.

Il reste cependant à conjuguer les approches anthropologiques (qui visent à comprendre les fondements des liens et des arrangements entre les sociétés humaines et la nature) et les approches historiques (qui cherchent à saisir les formes historiquement constituées de ces mêmes arrangements). Le colloque qui se tiendra à l’Université de Poitiers les 2 et 3 octobre 2015 aura pour objectif de faire dialoguer des historiens, des sociologues, des anthropologues et des philosophes autour de ces questions.

Quatre grands ensembles de problématiques définissent le type de communications attendues. Tout d’abord, il sera important de repérer les écarts, les hiatus, les divergences, entre la façon d’envisager le rapport à la nature en Occident (comme point nodal de la modernité) et dans les autres parties du monde. Toutes les analyses mettant en lumière les effets retour de ces séparations ou les processus syncrétiques de reconstitution des relations hommes-natures sont bienvenues, sur tous les terrains et à toutes les époques. Les propositions peuvent également s’inscrire dans la définition du travail de symbolisation : nous attendons ici des communications sur les formes rituelles tissant des rapports singuliers entre les existants, sur les codifications les plus diverses de l’inscription humaine dans l’environnement ou, au contraire, sur l’absorption complète des catégories humaines dans une nature indifférenciée. Les communications relatives aux catastrophes naturelles ou à tout ce qui vient faire irruption dans les sociétés humaines sont bienvenues. L’objectif est ici de comprendre comment des « débordements » de la nature sont intégrés (ou pas) dans l’histoire des populations. Enfin, des propositions de communication sont également attendues sur les politiques de la nature. Bien sûr l’actualité de la crise environnementale fixe une focale très contemporaine pour ces questions, mais toutes les interventions concernant les modes d’appropriation des éléments naturels aux façons de gouverner, dans toutes les sociétés et à toutes les époques, seront vivement encouragées.


Modalités pratiques d'envoi des propositions
Le colloque privilégie les approches interdisciplinaires et les plus ouvertes possibles. Les communications attendues doivent s’inscrire dans la perspective dialogique d’un questionnement collectif au croisement des préoccupations scientifiques sur la façon dont les sciences humaines et sociales peuvent se saisir des problématiques environnementales et des interrogations inquiètes sur l’évolution des rapports entre l’homme et la nature

Les propositions de communication (2000 signes, espaces compris) doivent parvenir par mail aux organisateurs
avant le 30 mars 2015.


Le colloque aura lieu à l'Université de Poitiers les 2 & 3 octobre 2015
Contacts



Comité d'organisation
Yves Lafond (HeRMA)
Jérôme Lamy (CRIHAM)
Romain Roy (HeRMA)
Comité scientifique
Adell Nicolas (Université Toulouse Jean Jaurès)
Bert Jean-François (Université de Lausanne)
Fages Vony (ENS Cachan)
Saint-Martin Arnaud (CNRS - Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines)


LIEUX
UFR SHA Université de Poitiers - 8 rue René Descartes

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