Ventres et viscères
Symbolique et esthétique des entrailles et de la digestion au XVIIIe siècle.
Dans son récent ouvrage Versailles, l'ordre et le chaos, Michel Jeanneret évoque la représentation de Monsieur de Pourceaugnac de Molière, qu'il présente comme la pièce des bas-fonds par excellence. Les brigands parisiens y côtoient l'obscurantisme provincial dans une farce dont les emblèmes sont le clystère et « les zones ténébreuses et polluées des entrailles ». La catharsis de la farce passe par la purgation du corps faussement malade. Jeanneret rapproche cette pièce du Malade imaginaire, dans laquelle le bas-ventre et son évacuation sont au cœur de la farce scatologique. Cette dernière est représentée à Versailles devant le décor artificiel de la grotte de Thétis et, pour Jeanneret, le malade penché sur ses entrailles est reflété par la fausse caverne « qui ouvre sur des profondeurs marines, enfouie dans le ventre de la terre, mimant le labyrinthe des viscères ».
La représentation des entrailles, du ventre et des viscères dépasse largement le cadre anatomique qui influence les caricatures comme la façon de penser le corps au dix-huitième siècle (Mandressi, 2003). Les fonctions physiologiques associées au bas-ventre — la digestion et l'évacuation — ont une portée métaphorique qui évolue tout au long de la période. Elles sont aussi liées à des pratiques de santé qui font des entrailles l'un des lieux privilégiés du diagnostic et de la thérapie. L'examen des déjections, la prescription régulière de lavements et d'émétiques donnent une place familière aux entrailles dans la perception du corps. Loin de la métaphore, les récits de patients et les comptes rendus médicaux ancrent la digestion dans la matérialité.
Si la digestion a longtemps été associée à une forme d'assimilation lente et sélective du savoir, la mélancolie hypocondriaque, ce « mal anglais », envisage l'étude excessive comme une indigestion. Plus généralement, c'est à l'indigestion et au trop-plein que l'on associe le siècle : le débordement du savoir, l'impossibilité d'englober la connaissance et l'abondance d'imprimés affolent la République des Lettres, tandis que les médecins s'inquiètent de produits comme le thé, le café ou les épices et de leurs conséquences sur la digestion et l'économie corporelle en général (Burton, Mandeville, Cheyne, Tissot). L'indigestion et les privations alternent dans les traités sur la mélancolie hypocondriaque, dont l'objet et le propos se confondent avec les réflexions des philosophes sur le luxe (Forth, 2005).
Les vents, la défécation, la purge et la diarrhée sont également des éléments, des images et des métaphores récurrents dans la littérature satirique, la farce et le grotesque, dont Barbara Stafford a montré la dimension politique dans la culture des Lumières (Stafford, 2011).
Tandis que la machinerie du corps, interne et invisible, est exposée à la caricature, la satire montre le dessous des institutions et recourt aux entrailles pour souligner les dérèglements du corps politique et social. Dans ses descriptions de la fange putride des cuisines, des souterrains, des hôpitaux ou des égouts, Tobias Smollett montre par exemple la faillite des institutions — la face sombre des bains publics, des palais ou de la marine — et la violence qu'elles exercent sur les corps et sur les esprits (Vasset, 2009).
Ces déclinaisons des viscères et de la digestion sont nombreuses dans la littérature comme dans les écrits médicaux ; les correspondances, fictionnelles ou non, médicales ou autres, sont par exemple fort riches en descriptions, remarques et commentaires sur le fonctionnement du ventre. Ce thème, au carrefour des disciplines, mérite aussi d'être étudié dans d'autres domaines, et tout particulièrement ceux de la culture visuelle du dix-huitième siècle (la caricature et l'anatomie), de l'architecture et de l'urbanisme.
L'imaginaire souterrain sous-tend la représentation de la ville. Les systèmes d'égouts et d'évacuation se multiplient et se superposent, ainsi que les fameux « passages » réels ou imaginés, connectant les lieux de pouvoir et de résistance. Les souterrains de Paris en sont un exemple célèbre, entre l'héritage des caves communicantes et la création des catacombes dans les carrières de calcaire pour libérer le cimetière des Innocents vidé à la fin du siècle. Comment les villes souterraines se construisaient-elles ? Quelles structures étaient récupérées, et réagencées ? Des égouts, des caves et des cryptes aux premières fouilles urbaines, les études de cas sur les entrailles des villes françaises et britanniques seront particulièrement bienvenues.
Nous vous invitons à proposer des articles sur ce sujet dans les domaines de
La littérature
L'histoire (notamment l'histoire de la santé)
L'histoire des idées
L'histoire culturelle
La culture matérielle et visuelle
L'architecture et l'urbanisme
Langues : français et anglais
Les propositions retenues feront l'objet d'un colloque qui se tiendra à Paris les 21 et 22 mars 2014. Les textes définitifs devront être rendus le 15 juillet 2014.
Symbolique et esthétique des entrailles et de la digestion au XVIIIe siècle.
Dans son récent ouvrage Versailles, l'ordre et le chaos, Michel Jeanneret évoque la représentation de Monsieur de Pourceaugnac de Molière, qu'il présente comme la pièce des bas-fonds par excellence. Les brigands parisiens y côtoient l'obscurantisme provincial dans une farce dont les emblèmes sont le clystère et « les zones ténébreuses et polluées des entrailles ». La catharsis de la farce passe par la purgation du corps faussement malade. Jeanneret rapproche cette pièce du Malade imaginaire, dans laquelle le bas-ventre et son évacuation sont au cœur de la farce scatologique. Cette dernière est représentée à Versailles devant le décor artificiel de la grotte de Thétis et, pour Jeanneret, le malade penché sur ses entrailles est reflété par la fausse caverne « qui ouvre sur des profondeurs marines, enfouie dans le ventre de la terre, mimant le labyrinthe des viscères ».
La représentation des entrailles, du ventre et des viscères dépasse largement le cadre anatomique qui influence les caricatures comme la façon de penser le corps au dix-huitième siècle (Mandressi, 2003). Les fonctions physiologiques associées au bas-ventre — la digestion et l'évacuation — ont une portée métaphorique qui évolue tout au long de la période. Elles sont aussi liées à des pratiques de santé qui font des entrailles l'un des lieux privilégiés du diagnostic et de la thérapie. L'examen des déjections, la prescription régulière de lavements et d'émétiques donnent une place familière aux entrailles dans la perception du corps. Loin de la métaphore, les récits de patients et les comptes rendus médicaux ancrent la digestion dans la matérialité.
Si la digestion a longtemps été associée à une forme d'assimilation lente et sélective du savoir, la mélancolie hypocondriaque, ce « mal anglais », envisage l'étude excessive comme une indigestion. Plus généralement, c'est à l'indigestion et au trop-plein que l'on associe le siècle : le débordement du savoir, l'impossibilité d'englober la connaissance et l'abondance d'imprimés affolent la République des Lettres, tandis que les médecins s'inquiètent de produits comme le thé, le café ou les épices et de leurs conséquences sur la digestion et l'économie corporelle en général (Burton, Mandeville, Cheyne, Tissot). L'indigestion et les privations alternent dans les traités sur la mélancolie hypocondriaque, dont l'objet et le propos se confondent avec les réflexions des philosophes sur le luxe (Forth, 2005).
Les vents, la défécation, la purge et la diarrhée sont également des éléments, des images et des métaphores récurrents dans la littérature satirique, la farce et le grotesque, dont Barbara Stafford a montré la dimension politique dans la culture des Lumières (Stafford, 2011).
Tandis que la machinerie du corps, interne et invisible, est exposée à la caricature, la satire montre le dessous des institutions et recourt aux entrailles pour souligner les dérèglements du corps politique et social. Dans ses descriptions de la fange putride des cuisines, des souterrains, des hôpitaux ou des égouts, Tobias Smollett montre par exemple la faillite des institutions — la face sombre des bains publics, des palais ou de la marine — et la violence qu'elles exercent sur les corps et sur les esprits (Vasset, 2009).
Ces déclinaisons des viscères et de la digestion sont nombreuses dans la littérature comme dans les écrits médicaux ; les correspondances, fictionnelles ou non, médicales ou autres, sont par exemple fort riches en descriptions, remarques et commentaires sur le fonctionnement du ventre. Ce thème, au carrefour des disciplines, mérite aussi d'être étudié dans d'autres domaines, et tout particulièrement ceux de la culture visuelle du dix-huitième siècle (la caricature et l'anatomie), de l'architecture et de l'urbanisme.
L'imaginaire souterrain sous-tend la représentation de la ville. Les systèmes d'égouts et d'évacuation se multiplient et se superposent, ainsi que les fameux « passages » réels ou imaginés, connectant les lieux de pouvoir et de résistance. Les souterrains de Paris en sont un exemple célèbre, entre l'héritage des caves communicantes et la création des catacombes dans les carrières de calcaire pour libérer le cimetière des Innocents vidé à la fin du siècle. Comment les villes souterraines se construisaient-elles ? Quelles structures étaient récupérées, et réagencées ? Des égouts, des caves et des cryptes aux premières fouilles urbaines, les études de cas sur les entrailles des villes françaises et britanniques seront particulièrement bienvenues.
Nous vous invitons à proposer des articles sur ce sujet dans les domaines de
La littérature
L'histoire (notamment l'histoire de la santé)
L'histoire des idées
L'histoire culturelle
La culture matérielle et visuelle
L'architecture et l'urbanisme
Langues : français et anglais
Les propositions retenues feront l'objet d'un colloque qui se tiendra à Paris les 21 et 22 mars 2014. Les textes définitifs devront être rendus le 15 juillet 2014.
Merci d'envoyer vos propositions (300 mots), accompagnées d'un court CV détaillant vos publications les plus récentes, conjointement à Sophie Vasset (sophie.vasset@univ-paris-diderot.fr) et Sylvie Kleiman-Lafon (sylvie.kleiman-lafon@univ-paris8.fr) avant le 31 mai 2013.
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