Santé de genre et masculinités : perspectives historiques (post)-coloniales
Appel à communications
Journée d'études
1 mars 2019, Université de Genève.
Parmi les études de genre en histoire, de nombreux travaux se sont consacrés depuis les années 1990[1] à la masculinité et à la virilité[2]. Ces recherches ont sans doute eu le mérite, entre autres, de défaire un clivage qui considérait l’histoire des femmes comme le seul objet de recherche ; et d’enrichir l’historiographie d’interprétations qui permettaient par ailleurs de sortir les femmes d’une infériorité sans agency, problématisant donc aussi une approche qui les pensait comme des figures passives d’une histoire essentiellement masculine. L’histoire du genre a permis, de surcroît, de souligner que les hommes sont aussi victimes d’une pensée dichotomique du masculin versus féminin qui les assigne constamment à une définition normée de la masculinité et de la virilité[3].
Les travaux en histoire sur la santé des hommes restent toutefois rares[4], comme si finalement, l’assignation de la femme à son corps – notamment reproducteur –avait caché aussi le corps de l’homme. Par un renversement dichotomique des savoirs et des pratiques médicales, le corps des hommes a été scruté uniquement du côté d’une étiologie endogène, voire sociale.
Face aux importantes analyses concernant la santé des femmes l’insuffisance des réflexions sur la santé des hommes surprend, malgré l’existence, connue, d’une surmortalité masculine séculaire[5], qui s’inverse à peine en contexte occidental depuis les années 1990[6].
Le peu d’analyses sur ces questions évoquent une prise de risque accrue de la part des hommes, liée à leur statut social et professionnel ainsi qu’à des postures viriles face aux soins[7].
Alors qu’on connaît les conséquences du système biopolitique pour l’histoire des femmes dans le contexte occidental et colonial[8], il reste encore un important travail à faire concernant l’histoire de la virilité et de la masculinité dans le but de sortir des impasses à la fois de l’objectivisation d’un corps supposé « neutre », d’une nouvelle biologisation des corps et d’une dichotomie essentialiste des sexes.
C’est par ailleurs à l’intersection des rapports sociaux de sexe, « race », âge – entre autres –
que se dévoile l’imbrication entre pouvoirs, savoirs et pratiques de santé : ainsi dans la colonisation, les médecins – des hommes pour l’essentiel – produisent-ils des catégories scientifiques qui légitiment des pratiques cliniques, construisant ainsi une multitude de hiérarchies ordonnant non seulement le corps des femmes, mais aussi celui des hommes. L’« observation » du moral et du physique de ces mêmes corps, regardés depuis le miroir inversé de la virilité, participe à construire une épistémologie genrée de la santé qui a des conséquences sur la longue durée. La colonisation est pour ainsi dire un lieu non seulement de production de catégories épistémologiques hégémoniques pour penser – et soigner – le corps de « l’Autre », mais implicitement aussi un lieu de production des nouvelles nosologies médicales : la colonisation intervient en somme aussi dans la production du savoir et de la clinique de la médecine occidentale, qu’il nous faut repenser à l’aune des intersections des rapports de pouvoir de sexe, « race », classe[9].
Axes :
Dans cette journée d’étude nous souhaiterions revenir plus précisément sur des questions qui nous paraissent avoir une fonction heuristique :
-Comment périodiser une histoire de la santé de genre qui prenne en compte le genre dans les espaces coloniaux et postcoloniaux ?
- Comment comprendre, déconstruire et reconstruire les données sanitaires en tenant compte de rapports de pouvoirs nord/sud des instances aptes à mesurer la santé ?
- Comment contextualiser les catégories nosologiques et les analyses épidémiologiques à l’aune d’une construction genrée et intersectionelle des modèles de santé[10] ?
- Comment comprendre et renseigner la surmortalité masculine[11] dans une perspective de genre et postcoloniale[12] ?
- Comment analyser le poids des permanences et des éventuelles ruptures dans les savoirs et dans les pratiques cliniques autour des maladies des hommes ?
- Comment évaluer le décalage entre discours et pratiques et mettre en lumière le processus de fabrication et de circulation des diagnostics ?
- Comment sortir d’une interprétation qui opère une dichotomie entre des savoirs locaux, traditionnels et autochtones d’une part et des savoirs occidentaux, modernes et scientifiques d’autre part ?
- À quel point ces « savoirs locaux » sont-ils issus du façonnage de la circulation des savoirs entre l’ancienne médecine et celle moderne[13] ?
- Quelle part les colonisé-e-s ont-ils/elles pris à l’élaboration d’une médecine moderne dans les colonies ?
- Comment la présence genrée de personnel soignant européen aux colonies a-t-elle eu un impact sur la santé globale de la population ? Et sur l'évolution des disciplines elles-mêmes ?
- À quel moment peut-on parler de médecine coloniale[14] ?
Conditions de soumission (avant le 30 novembre 2018) :
Format : Les propositions de 3000 à 5000 caractères maximum (espaces compris) devront intégrer : le questionnement/problématique, le corpus (sources / matériaux) ainsi que le champ disciplinaire et la méthodologie.
Calendrier :
30 octobre 2018 : diffusion de l’appel à communications.
30 novembre 2018 : fin de l’appel.
17 décembre : notification et réponse de la sélection.
Par la suite, pour les propositions retenues, il s’agira d’envoyer le texte de la communication (10000- 15000 signes ) avant le 10 février 2018.
Contact : Francesca Arena francesca.arena@unige.ch
Comité scientifique et organisation :
Maison de l’histoire, Université de Genève : https://www.unige.ch/rectorat/maison-histoire/
Francesca Arena (Université de Genève) ; Mathieu Arminjon (Haute École de Santé Vaud) ; Camille Bajeux (Études genre, Université de Genève) ; Vincent Barras (Institut des humanités en médecine, UNIL) ; Andrea Carlino, (iEH2, Université de Genève) ; Aude Fauvel (Institut des humanités en médecine, UNIL), Alexander Keese (Département histoire générale, Université de Genève) ; Vinh-Kim Nguyen (Graduate Institute) ; Lorena Parini (Études genre, Université de Genève) ; Christelle Taraud (NYU in Paris et Centre d’Histoire du XIXe siècle -Paris 1 et 4-, France).
[1] Robert William Connell, Masculinities, Berkeley, University of California Press, 1995. Robert A. Nye Masculinity and Male Codes of Honour in Modern France, New York / Oxford, Oxford University Press, 1993.
[2] Régis Révenin (dir.) Hommes et masculinités de 1789 à nos jours. Contributions à l’histoire du genre et de la sexualité en France, Paris, Autrement, 2007. Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello Histoire de la virilité : t. 1, L'invention de la virilité. De l'Antiquité aux Lumières, t. 2, Le triomphe de la virilité. Le XIX e siècle, t. 3, La virilité en crise? XX e -XXI e siècle, Paris, Seuil 2011.
[3] Jean-Pierre Cavaillé, Sophie Houdard et Cécile Soudan, Masculinité et « esprit fort » au début de l'époque moderne : Les Dossiers du Grihl, n. 1, 2010.
[4] Susanne Hoffmann, Gesunder Alltag im 20. Jahrhundert? : geschlechterspezifische Diskurse und gesundheitsrelevante Verhaltensstile in deutschsprachigen Ländern, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2010. Martin Dinges, "Men's Bodies 'Explained' on a Daily Basis in Letters from Patients to Samuel Hahnemann (1830-35)," Martin Dinges, (éd)., Patients in the History of Homoeopathy, Network Series, Sheffield, European Association for the History of Medicine and Health, 2002, pp. 85-118,. Mark S. Micale, Hysterical Men, The Hidden History of Male Nervous Illness, Cambridge, MA and London, Harvard University Press, 2008. Jacqueline H. Watts, Gender, Health and Healthcare: Women’s and Men’s Experience of Health and Working in Healthcare Roles, London and New York, Routledge 2016.
[5] Pour le XXe siècle cf. Alain Chenu, « Sexe et mortalité en France, 1906-1980 », Revue française de sociologie, 1988, Volume 29, Numéro 2, pp. 293-324.
[6] Marie-Josèphe Saurel-Cubizolles, « États de santé », in Margaret Maruani, Femmes, genre et sociétés, l'état des savoirs, Paris, La Découverte, 2016, pp. 122-130.
[7] Cf. Jacqueline Laufer, Catherine Marry, Margaret Maruani, Le travail du genre: Les sciences sociales du travail à l'épreuve des différences de sexe, Paris, La Découverte, 2010.
[8] Cf. les travaux de Christelle Taraud : « Les femmes, le genre et les sexualités dans le Maghreb colonial (1830-1962) », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 33, 2011, pp. 157-19 ; Sexes et colonies. Virilité, « homosexualité » et « tourisme sexuel » au Maghreb (XIXe et XXe siècles), Paris, Éditions Payot, 2009 ; « La virilité en situation coloniale et post-coloniale », dans Alain Corbin (dir.), Histoire de la virilité XIXe siècle/Première Guerre mondiale, tome 2, Paris, Le Seuil, 2009, pp.331-347 ; « Genre, classe et “race” en contexte colonial et post-colonial : une approche par la mixité sexuelle », in Pascale Bonnemère & Irène Théry (dir.), Ce que le genre fait aux personnes, Paris, Éditions de l’EHESS, coll. « Enquête », pp. 157-171. ; « Genre, sexualité et colonisation », Sextant, 23, 2008, pp.117-127. Et aussi : Malek Bouyahia, « Genre, sexualité et médecine coloniale. Impensés de l'identité ‘indigène’ », Cahiers du Genre, 1, 2011, n 50, pp. 91-110..
[9] Rana A. Hogarth, Medicalizing Blackness: Making Racial Difference in the Atlantic World, 1780-1840, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2017.
[10] Déjà au XIXe siècle certains médecins appréhendaient la problématique des statistiques sanitaires : Cf. par exemple Léon Cléry Vacher, Étude médicale et statistique sur la mortalité, à Paris, à Londres, à Vienne et à New-York en 1865, F. Savy, 1866.
[11] Cf. le chapitre : « Les causes médicales de la surmortalité masculine », in Jacques Vallin, France Meslé, Graziella Caselli, Viviana Egidi, Les causes de décès en France de 1925 à 1978, Volume 1, Paris, INED, 1988, p. 470.
[12] Ainsi par exemple sur la notion de tuberculose comme maladie « exportée »: cf. Pierre Darmon, Un siècle de passions algériennes : Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1940), Paris, Fayard 2009.
[13] Daniel G. König « Traductions et transferts de savoirs », Trivium [En ligne], 8, 2011, mis en ligne le 16 mai 2011 : URL : http://trivium.revues.org/3973 .
[14] Iona McCleery « What is “colonial” about medieval colonial medicine? Iberian health in global context », Journal of Medieval Iberian Studies, 7, 2015, pp. 151-175.
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