Kurt Goldstein, le milieu et la clinique Appel à contributions
Cahier thématique de Philosophia Scientiæ 28/3 (novembre 2024)
Editeurs invités : Agathe Camus, Marco Dal Pozzolo, Charlotte Gilart de Keranflec’h
Date limite de soumission : 1er juin 2023
Date de notification : 1er octobre 2023
Version finale : 1er avril 2024
Adresses de soumission :
agathe.camus@u-paris.fr,
marco.dal-pozzolo@u-bourgogne.fr,
charlotte.gilartdekeranflech@hesav.ch
Le dossier se propose d’explorer les multiples facettes de l’œuvre et de la pratique du neuropsychiatre Kurt Goldstein (1878-1965) au prisme de notion de milieu, centrale chez lui, tant sur le plan conceptuel et théorique que dans sa pratique de la neuroréhabilitation. En lien avec cette notion de milieu, c’est également sa démarche clinique, et le rôle qu’il fait jouer aux données cliniques comme point de départ de toute théorisation qui feront l’objet d’une attention particulière.
Le dossier se propose en outre d’aborder l’œuvre de Kurt Goldstein depuis des perspectives et des approches philosophiques plurielles (histoire et philosophie des sciences, épistémologie, éthique, philosophie du soin et de la médecine, etc.) tout en insistant sur la nécessaire articulation de ces différentes dimensions pour saisir une œuvre qui vient brouiller un certain nombre de frontières disciplinaires. Il s’agira donc d’insister sur l’originalité de son approche et de ses concepts et d’en faire l’objet de nouvelles lectures. En ce sens, il pourrait être intéressant de mobiliser certaines de ces ressources théoriques et d’en éprouver l’actualité et la fécondité dans des champs de réflexion contemporains, dans la continuité de la suggestion faite par Marie Gaille, selon laquelle la pensée de Goldstein peut « contribuer à interroger aujourd’hui des évidences supposées en matière de clinique, d’organisation sociopolitique du soin et porter des questionnements anthropologiques » (Gaille, dans Goldstein 2021, p. 23).
Kurt Goldstein est une figure qui échappe aux étiquettes et dont l’œuvre demeure encore aujourd’hui une source féconde d’interrogations. Comptant parmi les neurologues les plus éminents de l’Allemagne de Weimar (Borck, 2020), il est notamment connu pour ses travaux sur les aphasies (Forest, 2006 ; Tesak, 2001, 2008) et son rapport complexe au localisationnisme cérébral, mais, également, pour son approche singulière combinant des examens cliniques minutieux de patients individuels avec des conclusions théoriques de grande portée, qui viennent nourrir son magnum opus Der Aufbau des Organismus et se prolongent dans une anthropologie philosophique (Gaille dans Goldstein, 2021). S’il n’était pas lui-même philosophe, la pensée et l’œuvre de Goldstein ont par ailleurs inspiré des philosophes (Cassirer, 1923 ; Merleau-Ponty 1942, 1945 ; Canguilhem, 1966) et il a lui-même puisé dans le patrimoine philosophique pour élaborer sa conception holistique de l’organisme et de la nature humaine. Ses travaux eurent également une influence sur la psychiatrie et la psychologie américaines, influence que renforcèrent son émigration forcée aux États-Unis et la nécessité de se recréer une position professionnelle dans un paysage intellectuel et scientifique nouveau.
Sans nécessairement s’y restreindre, les contributions pourront explorer les axes suivants :
1. Goldstein et la clinique des neurolésions : fondation scientifique de la neuroréhabilitation
Les travaux de Goldstein en neuroréhabilitation concernent l’entier de la vie neurologique sous l’angle d’abord pathogénique. Quel que soit le trouble neurologique étudié (aphasie, apraxie, acalculie, hémianopsie, négligence, amnésie, syndrome dysexécutif, etc.), Goldstein le décrit dans la totalité et l’étendue de son expression comportementale chez le patient. Les contributions qui s’intéresseront aux liens entre le savoir accumulé en neurologie, neurochirurgie, neuroanatomie, neuroréhabilitation et la perspective holiste de Goldstein seront les bienvenues. À l’Institut zur Erforschung der Folgeerscheinungen von Hirnverletzungen, à la villa Sommerhoff, il s’agit pour Goldstein et ses collègues de trouver pour les neurolésés des solutions thérapeutiques et un accompagnement dans la recherche d’une vie bonne fondés sur des preuves empiriques. Les contributions pourront explorer l’articulation entre les différentes modalités méthodologiques de la recherche empirique menées à l’Institut et leur traduction dans les modalités du soin.
Enfin, la pratique de Goldstein au Sommerhoff ouvre la médecine à la définition d’une nouvelle forme de soin : le soin réhabilitateur. À l’Institut, Goldstein conduit la neurologie à se transmuer en « interdiscipline » exigeant le déploiement de compétences élargies (psychiatrie, psychothérapie, neurochirurgie, soins infirmiers, etc.) pour accompagner des expériences de vécus de handicap chroniques touchant durablement des capacités physiques, cognitives, psychiques, affectives ou sociales des neurolésés. Des contributions pourront ainsi explorer les liens entre recherches en soins réhabilitateurs, plasticités soignantes et théories de soins.
2. La question du milieu d’un point de vue théorique et pratique
Goldstein participe au tournant allemand anti-positiviste du concept de milieu, qui se constitue en réaction aux perspectives françaises du siècle précédent (telles que celles d’Auguste Comte ou d’ Hippolyte Taine). Il retravaille en particulier le concept de Umwelt de Jacob Von Uexkull (Von Uexküll, 1965) et la distinction entre entourage géographique et entourage de comportement de Kurt Koffka (Koffka, 1935) de façon originale et propose une conception plastique du milieu : structurellement couplé à l’organisme, il est continuellement remanié par les comportements de celui-ci, selon un rapport de co-implication. Le complexe organisme-milieu pourra, d’une part, être interrogé pour éclairer les concepts de santé et de maladie, en tant que dispositif conceptuel qui permet de saisir l’originalité de la position goldsteinienne. Il pourra également être développé dans le sens d’une conception relationnelle, voire dialectique, du rapport entre le vivant et son environnement, selon le modèle du débat (Auseinandersetzung).
Cette conception n’a pas manqué d’influencer la réception française de Goldstein (Canguilhem, 1966) et ouvre à des interprétations environnementales de son œuvre, ainsi qu’à des réflexions intégrant la philosophie des techniques et l’ingénierie des techniques au service des neurolésés, ou encore la philosophie du soin, qui pourront faire l’objet de contributions originales. Les contributions pourront aussi interroger la riche sémantique qui désigne la relation de l’organisme au milieu. Le caractère dynamique de l’idée d’adéquation (adäquatheit) et la pluralité de situations auxquelles elle s’applique chez Goldstein pourront faire l’objet d’interrogations concernant l’épistémologie, l’éthique et l’histoire conceptuelle.
3. Psychiatrie, psychologie et psychanalyse
Habilité en psychiatrie, connu pour son attention aux effets psychologiques des lésions cérébrales, Goldstein entretient des rapports étroits et évolutifs avec la psychiatrie, la psychologie mais aussi la psychanalyse. La place qu’elles occupent dans sa pratique clinique et ses travaux pourra être interrogée, étant entendu que cette place a largement évolué au fil du temps (Ferrario et Corsi, 2013), son émigration aux États-Unis marquant notamment une inflexion dans son rapport à la psychanalyse.
La réception de son œuvre dans ces différents domaines pourra être étudiée. L’importance de Goldstein pour la psychothérapie, par exemple, et l’usage de certains concepts élaborés par Goldstein - tels que celui d’« actualisation de soi » - par des psychologues américains pourront être questionnés. Les contributions s’intéressant au dialogue de Goldstein avec la psychologie et la psychiatrie avant son arrivée aux États-Unis, à la relation complexe entre Goldstein et la psychologie de la Gestalt ou encore à l’influence de ses travaux et de sa critique de Freud dans des courants comme celui de l’antipsychiatrie française ou de la psychothérapie institutionnelle seront les bienvenues (Fanon, 1951).
4. Vers une éthique et une anthropologie philosophique ?
L’approche adoptée par Goldstein et ses collègues à l’Institut, axée sur la recherche sur les lésions cérébrales mais aussi sur le soin des patients cérébrolésés, dans perspective thérapeutique au sens large et en lien avec l’idée d’une vie « valant la peine d’être vécue », malgré le caractère incurable de certaines séquelles et du choc créé par les blessures de guerre, témoigne d’une exigence clinique que l’on qualifierait aujourd’hui volontiers d’éthique (Gilart de Keranflec’h dans Goldstein, 2021). La position éthique de Goldstein envers la pratique médicale, et plus largement envers la science (Ferrario et Corsi, 2013) pourra être interrogée.
L’approche casuistique de Goldstein porte une exigence éthique en médecine. Des recherches pourraient s’intéresser à l’importance des cas emblématiques infléchissant, enrichissant ou confrontant l’œuvre à ses propres postulats épistémologiques ou ontologiques. Goldstein apparaît en outre aux yeux de certains comme un « clinicien-philosophe », « exemplaire de ce que la science et la pratique peuvent être lorsqu’elles sont sous-tendues par une compréhension philosophique profonde de la nature humaine » (Pickren, 2003). Les rapports de Goldstein avec la pensée philosophique et le prolongement de sa pensée, en particulier dans sa période américaine, dans une « anthropologie philosophique » (Goldstein, 1959 ; Thermoz, 1978) pourront être étudiés.
Cet appel à contribution fait suite à une journée d’étude qui s’est tenue le 13 mai 2022 à l’Université de Dijon, organisée par Marco Dal Pozzolo (LIR3S UMR 7366, Université de Bourgogne) et Agathe Camus (Sphere UMR 7219, Université Paris Cité/CNRS). Cet atelier a bénéficié du soutien de la Chaire Valeurs du Soin, des laboratoires LIR3S UMR 7366 (Université de Bourgogne – CNRS) et Sphere UMR 7219 (Université Paris Cité – CNRS), de l’École doctorale Sept UBFC et du projet Epiphinore n° ANR-20-CE36-0007-01.
Les manuscrits doivent être soumis, en anglais ou en français, et préparés pour une évaluation anonyme.
Un résumé en français et un résumé en anglais (200-300 mots) doivent être inclus.
La longueur des articles est limitée à 50 000 caractères (espaces, bibliographie et notes comprises).
Adresse pour l’envoi des soumissions : agathe.camus@u-paris.fr, marco.dal-pozzolo@u-bourgogne.fr, charlotte.gilartdekeranflech@hesav.ch
Format de l’article, voir les instructions aux auteurs : http://philosophiascientiae.revues.org/452
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